"Il aurait fallu que la cigarette électronique soit vendue par les pharmaciens dès le début"
Entretien avec Paul Van den Meersche du SPF Santé publique
Dans ce magazine, nous présentons régulièrement des acteurs du marché du tabac et du vapotage. Nous sommes conscients que chaque médaille a son revers, c'est pourquoi Kiosk s'est entretenu à la fin de l'été avec Paul Van den Meersche, chef de service au SPF Santé publique.
Frustrations
Monsieur Van den Meersche, la stratégie interfédérale 2022-2028 pour une génération sans tabac, c'est-à-dire le plan anti-tabac du gouvernement fédéral pour parvenir à une génération sans tabac d'ici 2040, avance à grands pas. Les mesures contre le tabagisme, et maintenant de plus en plus contre le vapotage, sont lancées les unes après les autres. Entre-temps, le nombre de fumeurs a-t-il diminué dans notre pays?
"Oui, très clairement, comme le montrent les derniers chiffres publiés par Sciensano sur le sujet (2023-2024). Selon l'institut de recherche, 12,8% de la population adulte fume encore aujourd'hui. En 2018, ce chiffre était encore de 15,4%. Ce chiffre est donc en baisse, même chez les jeunes (de 14,8% à 11%). En revanche, l'utilisation des e-cigarettes augmente, et certainement aussi chez les jeunes."
Votre patron, le ministre Frank Vandenbroucke, ne lésine pas sur les mesures qui - semble-t-il - ciblent et affectent surtout le circuit légal. Tout récemment, il a été décidé d'interdire de fumer et de vaper sur les terrasses des établissements de restauration à partir du 1er janvier 2026. Les fumoirs seront également interdits. Toutes ces mesures anti-tabac et anti-vapotage semblent toucher principalement le circuit légal et le commerçant de bonne foi. Êtes-vous d'accord avec cela?
"Beaucoup d'exploitants de librairies-presse se disent frustrés, et je peux le comprendre. Ils doivent faire de nouveaux investissements tous les deux ou trois mois (par exemple, lorsque l'interdiction d'affichage a été introduite). Les autres canaux de vente, tels que les magasins de nuit, font également l'objet d'un examen minutieux. Sauf en ce qui concerne la vérification du respect de l'interdiction de vente aux mineurs par des clients mystères mineurs. On peut donc avoir l'impression que les libraires-presse sont particulièrement visés par les mesures visant à réduire le nombre de fumeurs."
"Il faut toutefois savoir que nous avons également dû essuyer de nombreuses critiques lorsque nous avons interdit de fumer dans les cafés. Aujourd'hui, tout le monde est habitué et personne ne peut imaginer fumer dans les cafés. L'interdiction de fumer sur les terrasses paraîtra donc tôt ou tard normale aux yeux du public."
"Par ailleurs, j'ai aussi un problème avec le comportement calimero de certains libraires-presse. À chaque décision contre le tabagisme, ils ont toujours eu plus d'avantages que les autres canaux de vente. Prenons l'exemple de l'interdiction de la publicité pour le tabac, entrée en vigueur en 1997. Les libraires-presse étaient les seules exceptions à cette interdiction. Aujourd'hui, tous les canaux de vente sont sur un pied d'égalité. Les cigares ont eux aussi longtemps fait l'objet d'une exception, à savoir l'obligation d'avoir des paquets neutres. En outre, la TVA et les taxes sur ces produits ont oscillé autour de 30% pendant des années, alors qu'elle est d'environ 80% pour les autres produits du tabac."
"D'un point de vue de santé publique, il n'est pas justifié d'être strict sur les cigarettes et le tabac à rouler d'une part, et de ne pas l'être sur les cigares d'autre part. En tout état de cause, je suis convaincu que fumer des cigares est aussi nocif pour la santé que les cigarettes ou le tabac. On n'inhale pas la fumée, mais les cancers de la bouche et de l'œsophage sont des exemples typiques de cancers que l'on retrouve chez les fumeurs de cigares. De plus, la teneur en goudron de ces produits est beaucoup plus élevée."
"D'un autre côté, je comprends que toutes ces obligations ont un impact financier sur les indépendants, mais nous devons faire passer la santé publique en premier. Toujours selon Sciensano, une personne meurt toutes les heures à cause du tabagisme. Tout le monde connaît quelqu'un dans son entourage qui est mort des effets du tabagisme."
Marché illégal
Vous ne pouvez évidemment pas nier que la législation stricte de notre pays a créé deux circuits illégaux particulièrement florissants?
"En effet, nous ne pouvons malheureusement pas dire le contraire. Nous sommes conscients que le marché illégal des vapes et du tabac prospère principalement grâce à notre législation toujours plus stricte. Le tabac illégal est un problème depuis longtemps, mais maintenant les vapes illégales s'y sont ajoutées." (Selon les acteurs de l'industrie, le marché illégal de la vape dans notre pays représente déjà 50% des ventes, NDLR.). "Toutefois, il n'existe pas de plans concrets pour s'attaquer à ce problème (pour l'instant)."
Notre interlocuteur est ensuite resté silencieux un certain temps, nous faisant comprendre le malaise créé par la question.
"Mais le ministre est également conscient de ce problème. Il a notamment promis de renforcer notre service, mais il faut certainement aller plus loin. De très nombreux jeunes ne savent même pas que les produits qu'ils achètent sont illégaux. Le tristement célèbre reportage du magazine Pano l'a d'ailleurs montré. Nous pouvons fermer les sites web illégaux en Belgique. Mais cela ne résout pas le problème: les ventes se font de plus en plus via les réseaux sociaux et parmi les jeunes eux-mêmes, dans la rue."
"Il s'agit en fait d'un problème européen, qui doit être traité par la Commission européenne. En Belgique, nous avons l'une des législations les plus strictes de l'UE en matière de vapotage. Les vapes jetables sont interdites. L'interdiction d'étalage s'applique également à ces produits, et les arômes littéraux de fruits sont déjà bannis de l'emballage. Et bientôt, le nombre d'arômes sera certainement limité."
"Mais la législation européenne dans ce domaine, l'EUTPD-2, date de 14 ans. Elle est dépassée et doit donc être renouvelée de toute urgence. Heureusement, elle est actuellement en cours d'élaboration. Ce nouveau règlement européen constituerait donc déjà un grand pas en avant, mais cela prendra du temps. Idéalement, tous les pays de l'UE devraient avoir la même législation. Mais ce n'est malheureusement pas pour demain. Toutes ces fonctionnalités, lumières, jeux et saveurs... c'est en fait criminel."
Nightshops versus proxi et les librairies-presse
Les librairies-presse ont également l'impression d'être beaucoup plus contrôlées que les magasins de nuit. Est-ce vrai?
"Les magasins de nuit sont effectivement contrôlés aux premières heures d'ouverture, mais après cela, tout va de travers. En ce qui concerne les contrôles effectués le soir et la nuit par des clients mystères mineurs dans les magasins de nuit, nous sommes en train de rédiger une nouvelle loi. D'ici l'été 2026, cette loi devrait être mise en place. Nous pourrons alors nous concentrer davantage sur les magasins de nuit. Si nous envoyons des mineurs en dehors des heures normales, il y aura toujours des inspecteurs adultes dans le voisinage pour les surveiller. De plus, cet adulte devra être en mesure de constater l'infraction."
"Les magasins de nuit peuvent être un problème, mais en termes de vente de tabac aux mineurs, ils ne sont pas les seuls cas problématiques. De nombreuses infractions ont également été constatées dans les supermarchés. Bien sûr, avant l'entrée en vigueur de l'interdiction de vente de tabac dans les magasins de plus de 400 m2. Aujourd'hui, d'ailleurs, de nombreuses infractions y sont encore constatées en matière de vente d'alcool. On a l'impression que dans les supermarchés, on ne prend même pas la peine de demander l'âge. Certains magasins proposent des formations, par exemple sur la législation relative à la vente aux mineurs, mais les contrôles internes nécessaires font souvent défaut. Une anecdote sympathique à ce sujet est celle d'un jeune client mystère qui a un jour constaté que les gens lui demandaient sa carte de fidélité à la caisse, mais pas sa carte d'identité. Cela résume bien le problème."
"En ce qui concerne les contrôles effectués par les clients mystères, les librairies-presse sont les meilleures de la catégorie. En ce qui concerne la vente de tabac en tout cas"
Par la pharmacie
Êtes-vous vous-même convaincu que le vapotage est plus sain que le tabagisme?
"Vous savez, il y a 14 ans, la cigarette électronique a été lancée pour arrêter de fumer. Aujourd'hui, avec tous ces arômes et fonctionnalités ajoutés, elle est devenue un produit commercial comme un autre. Elle sert à créer une dépendance à la nicotine. Et c'est toujours un modèle commercial rentable."
"Nous pensons que les vapes légales sont moins nocives que le tabac et les cigarettes. Le Conseil supérieur de la santé a également formulé un avis similaire à ce sujet il y a quelques années. Le grand danger, c'est cette vaste gamme d'arômes qui attire les jeunes et crée ainsi une nouvelle génération d'accros à la nicotine, par le biais de ces e-cigarettes. Ce n'est pas ce que nous voulons. En outre, nous ne connaissons pas non plus les conséquences à long terme. Mais d'un autre côté, nous pensons que le vapotage peut aider les adultes à arrêter de fumer. En fait, nous aurions dû commercialiser le produit par l'intermédiaire des pharmaciens dès le début, et non par le canal de distribution habituel. Maintenant, oui, si nous l'avions fait mais que d'autres pays de l'UE ne l'avaient pas fait, cela n'aurait pas fait une grande différence."
Il semble que vous soyez en train de mener une bataille perdue d'avance. Les détaillants de journaux répondent comme suit: "La bataille semble perdue, mais nous sommes la première victime de cette situation."
"Malheureusement, le gouvernement DOIT réagir. Prenez ces augmentations régulières des droits d'accises. Vous ne pouvez pas dire que vous ne le faites pas parce que la conséquence est une augmentation des ventes illégales. Cela ne marche pas comme ça. Nous savons que le prix est la mesure la plus efficace pour réduire le tabagisme."
L'alcool
Le tabac et les e-cigarettes sont traités plus sévèrement que l'alcool, n'est-ce pas? Mais l'alcool est aussi une substance cancérigène, n'est-ce pas?
"C'est vrai. C'est sans doute plus sensible sur le plan politique. Et ce lobby est gigantesquement puissant. Aucun politicien ne veut fermer un café où l'on s'amuse avec de la bière. Mais la publicité pour l'alcool, par exemple lors des Fêtes de Gand, est toujours autorisée en masse. Je ne comprends pas cela. Nous avons encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine."
Atteindre les jeunes par leurs canaux
Comment faire passer votre message aux jeunes?
"La mentalité de notre société à l'égard du tabac a complètement changé. C'est une bonne nouvelle. En ce qui concerne le vapotage, les jeunes doivent être sensibilisés. Tout commence par les parents et les écoles. Mais le gouvernement pourrait aussi, par exemple, utiliser les propres armes du marché illégal pour atteindre et avertir les jeunes, par exemple en faisant appel à des influenceurs sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas?"
Avec tout le respect que je vous dois, je continue de penser que votre combat est une cause perdue, une goutte d'eau dans l'océan.
"Peut-être, mais à l'époque, j'avais le même sentiment avec la lutte contre le tabac. Je crois que nous pouvons encore inverser ces chiffres chez les jeunes. Mais il faut évaluer le travail du gouvernement sur le long terme."
C'est peut-être une bonne chose, mais les acteurs illégaux ne restent pas inactifs en attendant.
"Malheureusement, non (soupir)."
Autocollants
Le SPF Santé n'est pas autorisé à faire de la prévention, qui est une compétence régionale. Pour lutter contre la vente aux mineurs d'âge, le service a toutefois fait développer des autocollants. Ceux-ci indiquent clairement aux acheteurs qu'ils font l'objet d'un contrôle. "Il y a certainement des enfants qui sont stressés par cela et qui s'abstiennent d'acheter", explique Paul.
Paquets de cigares neutres et restriction des arômes de vape
Après l'interdiction de fumer sur les terrasses début 2026, le marché belge peut encore se préparer à l'obligation de paquets neutres pour les cigares (plain packaging), à partir de la mi-2026, et à une restriction des nombreux arômes dans les vapes, qui a d'ailleurs été incluse dans l'accord de coalition. Mais elle attend toujours l'avis du Conseil supérieur de la santé. Une fois que celui-ci sera en place, les choses pourraient aller vite.
Paul à ce sujet: "Bien sûr, ces substances sont également présentes dans les aliments. Cependant, les substances aromatiques sont de petites molécules volatiles qui sont absorbées par la bouche ou les poumons. L'absorption par les poumons est plus rapide que l'absorption par le système gastro-intestinal. Nous ne connaissons pas encore les conséquences à long terme de cette absorption.
















