Qui pour entendre les appels au secours de l'industrie?
RUBRIQUE - FERRE BEYENS, ANALYSTE/JOURNALISTE AUTOMOBILE
Même les grands médias osent désormais évoquer l'urgence des problèmes de l'industrie automobile. C'est surprenant de la part de publireportages qui semblaient n'avoir d'yeux que pour les questions automobiles susceptibles de soutenir 'leur' histoire. C'est également inhabituel de la part de ces gratte-papiers qui ont souvent détourné leur regard des problèmes explicites auxquels notre secteur est confronté. Quoi qu'il en soit, mieux vaut tard que jamais. Même dans les grands médias, l'industrie automobile est en train d'adopter le genre d'écriture où le texte - en l'absence totale de modèles informatiques manipulés ou d'autres systèmes d'apprentissage douteux - énonce des faits concrets et des chiffres. Comme nous l'avons fait à maintes reprises dans CarFix, certains journaux ont même osé souligner que notre économie automobile (autrefois) solidement établie est aujourd'hui menacée de s'effondrer, ni plus, ni moins. Et même si l'industrie automobile n'est pas (encore) dans l'antichambre de la mort socio-économique, ses appels de détresse résonnent désormais dans le paysage industriel automobile.
"Les constructeurs européens contraints à l'électrification doivent faire face à la concurrence acharnée de la Chine"
La faiblesse de l'économie européenne entraîne un pessimisme croissant chez les grands constructeurs automobiles. C'est ce que révèlent les enquêtes de l'Institut Ifo (Institut Leibniz pour la recherche économique, Université de Munich). Celles-ci interrogent régulièrement BMW, Mercedes et Volkswagen et n'aboutissent qu'à une seule conclusion: ces constructeurs sont de moins en moins confiants dans l'avenir. La fragile économie européenne ne sera pas étrangère à cette baisse de confiance. Un pessimisme alimenté par la baisse des revenus, l'inflation, la hausse des taux d'intérêt, les réglementations de plus en plus strictes en matière d'environnement ou de climat et... la flambée des prix de l'énergie. Mais aussi, par l'incertitude persistante provoquée par le conflit en Ukraine. Et comme si tout cela ne suffisait pas à la misère industrielle, le constructeur automobile européen, résolument tourné vers la propulsion électromagnétique, est confronté à une concurrence acharnée de la Chine.
La tourmente chez Volkswagen et les communications négatives chez Audi, Porsche et Ford prouvent que la soit-disant merveilleuse histoire des VE a aussi un côté moins rose. Il n'est pas surprenant que tout ce pessimisme économique suscite également de vives inquiétudes chez d'autres constructeurs automobiles réputés, en particulier européens. En effet, dans l'état actuel des choses, la pression concurrentielle exercée par les fabricants chinois de VE continue de s'accroître de manière décisive. Il n'y a pas qu'en Europe que les VE chinois se multiplient. En Chine, les constructeurs étrangers n'ont toujours aucune chance. Il suffit de demander à VW, qui a longtemps dominé le marché chinois, de se laisser dépasser par BYD (entre autres) et Tesla (pour l'instant). Avec pour conséquence des ventes en chute libre. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle VW a récemment tiré la sonnette d'alarme. Même en Europe, les ventes de VE de VW restent inférieures aux prévisions. À tel point que VW est contraint d'ajuster sa production de VE. En d'autres termes, de la réduire.
On observe la même chose chez Ford, où les ventes de VE n'atteignent pas les courbes prévues. C'est le cas de la Mach-E, par exemple. Alors que ses ventes ne sont pas trop mauvaises en Europe, sur le marché américain, Ford constate une baisse significative de l'intérêt pour le même modèle. En conséquence, le nombre de voitures invendues augmente et la rumeur d'une réduction de la production se fait entendre ici aussi. Et ce ne sont pas seulement les ventes du Mach-E qui sont inquiétantes. Le premier pick-up électrique sur le marché américain n'apporte pas non plus les résultats escomptés par Ford. Mais là encore, il s'agit d'une conséquence des retards de production.
Audi est également confronté à des retards de production et au risque de perdre des clients. Pour contrer les retards, une coopération avec le groupe chinois SAIC a même été envisagée. Et que dire de Porsche, qui avait également imaginé un avenir plus radieux pour les VE. Ses débuts étaient pourtant très prometteurs. Mais en Europe et surtout aux États-Unis, les ventes de la Taycan se révèlent franchement décevantes.
En tant que premier exportateur mondial de véhicules électriques, la Chine tient l'Europe, forcée à l'électrification, sous son emprise industrielle. Comme nous l'avons écrit précédemment: en conduisant des VE chinois, les perspectives d'avenir de l'industrie européenne ne cessent de défiler dans nos têtes. Plus tôt que nous n'aurions jamais osé l'espérer, les constructeurs chinois "électrifiants" (ainsi que Tesla) naviguent dans les eaux économiques déjà agitées des constructeurs automobiles européens et se retrouvent directement dans une zone de tempête digne d'un typhon.
La frénésie des VE est confrontée à des proportions économiques peu réjouissantes. Les mêmes médias qui ont accueilli avec euphorie l'électrification des voitures sont obligés de se rendre à l'évidence. Parce que (aussi) économiquement, cette transition vers le VE est loin de mériter cet alléluia. Les cris de détresse de l'industrie, quant à eux, confirment avec effroi ce que la littérature spécialisée a déjà osé esquisser. Les contradictions probables des VE y ont été soulevées à juste titre. Nous avons déjà critiqué la fausse neutralité en CO2 ainsi que d'autres points de réjouissance en matière de sauvegarde du climat. Il s'agit là de contradictions du VE que nous souhaitons laisser de côté ici. Il s'avère en effet qu'à part cela, la transition vers l'énergie électrique ne se déroule pas du tout comme prévu.
En outre, les appels à l'aide se feront de plus en plus pressants si l'Europe continue à se résigner à l'interdiction de l'ICE. Une interdiction qui, étonnamment, n'existe pas dans la Chine électrifiée. Pour l'Europe, qui est économiquement à bout de souffle, l'interdiction de vente des nouveaux véhicules à moteur à combustion interne est déjà une réalité. Il s'agit d'une décision politique qui stimule artificiellement les ventes de VE et qui alimentera chez nous des conséquences industrielles funestes. Les cris d'alarme que nous venons de citer aujourd'hui sont déjà confrontés à un côté économiquement - et commercialement - moins rose de la médaille: celui d'une transition 'acclamée' vers les VE qui menace à présent sérieusement les constructeurs automobiles européens.