Comment un 'peut-être' s'est transformé en 'évidemment'
CHRONIQUE - FERRE BEYENS, ANALYSTE/JOURNALISTE AUTOMOBILE
Le coronavirus et la faible disponibilité de semi-conducteurs ont réduit les chiffres de la production mondiale au cours des derniers mois. Neuf mois après le début de la turbulence de 2021, nous avons estimé la chute des prévisions de production dans ces lignes. Inquiets, nous écrivions que cette situation pour le moins compliquée n'incarnait 'peut-être' que les prémices d'une crise plus sévère. Aujourd'hui, la réalité déchirante nous oblige à changer ce 'peut-être' en 'évidemment'. En effet, les prévisions de production antérieures, déjà peu optimistes, ont dû être réajustées entre-temps. Avec des pertes de production encore plus lourdes en perspective.
"Se heurter à un prédicat de transition qui claironne des hypothèses non prouvées comme des faits établis"
Ces prévisions actualisées traduisent une fois de plus l'ampleur largement sous-estimée des défis qui attendent l'industrie automobile. À commencer par les effets de la pandémie et le manque d'approvisionnement en composants semi-conducteurs. Au cours du premier semestre, cela s'est principalement limité à la production frontale de micropuces (MCU). Souvenez-vous! Un tempête de verglas au Texas, un incendie qui détruit l'usine Renesas Naka 3 au Japon. Un désastre pour la construction automobile qui avait tant besoin de composants électroniques. Une fois ce problème résolu, les désastres des semi-conducteurs ont été principalement définis par des problèmes de capacité en amont. Dans l'assemblage, le test et l'emballage des MCUs. Un traitement qui se concentre dans les régions où la politique impose des mesures de confinement. Comme en Malaisie (par exemple), où cette façon économiquement pernicieuse de lutter contre l'effet corona a eu pour conséquence que la capacité opérationnelle normale ne sera pas atteinte avant la fin de 21, voire le deuxième trimestre de 22.
Malheureusement, il ne s'agit pas de théories non prouvées ou de modèles informatiques manipulés. Les chiffres de production sont ce qu'ils sont et nous confrontent à une réalité peu engageante: une production annuelle mondiale en baisse de 7 à 8 millions de voitures! À en juger par les commentaires de la presse, il semble que les médias ne disposent pas d'une interprétation exacte de cette énorme baisse de production. Par conséquent, une petite mise au point s'impose. Il n'y a pas si longtemps, une usine automobile belge fonctionnant à plein régime employait 4 à 5.000 personnes pour assembler jusqu'à 400.000 voitures par an. La comparaison n'est certes pas tout à fait valable, mais une production automobile qui diminue aujourd'hui d'environ 8 millions d'unités correspond à peu près à la production annuelle de 20 usines automobiles, à l'époque où l'industrie automobile belge était encore florissante. Et ce, tant qu'on n'a pas affaire à une nouvelle vague de problèmes dans le contexte de la pandémie ou de la pénurie de semi-conducteurs.
Les constructeurs automobiles, qui n'ont pas cessé de réfléchir, doivent prendre des mesures drastiques. Toyota, par exemple, a ajusté brutalement ses objectifs de production une deuxième fois à la mi-octobre, alors que la planification de septembre avait déjà indiqué une réduction allant jusqu'à 40%. Raison invoquée? Symptomatiquement, les problèmes de capacité à long terme dans l'approvisionnement en semi-conducteurs. Et cela ne concerne pas seulement Toyota. La majorité des fabricants sont gravement touchés et devront revoir leurs objectifs. Comprenez: les ajuster vers le bas.
Volkswagen aussi - suivant l'exemple de Toyota - a rapidement tiré la sonnette d'alarme face aux sombres perspectives économiques. Le directeur général Herbert Diess a même parlé d'une restructuration nécessaire ... d'une réduction de 25% de la main-d'œuvre. Un pourcentage qui a été tout aussi rapidement revu à la baisse. En effet, lorsque la sonnette d'alarme a été tirée, les initiés de l'industrie automobile ont bien compris que le coronavirus n'était pas seul à mettre en cause, pas plus que la question des semi-conducteurs. Il faut aussi se pencher sur les coûts d'exploitation (trop) élevés, sur les conséquences des amendes financières élevées dues au scandale du diesel et - ce dont les médias ont parlé avec moins d'enthousiasme - sur les coûts imputés à la transition aux VE.
Les constructeurs automobiles mettent en garde depuis un certain temps que la transition vers la production de voitures électriques coûtera cher en suppression d'emplois. Cette situation se heurte au flux d'informations dominant d'un pouvoir médiatique qui vante sans critique les vertus de la transition énergétique et claironne des hypothèses non prouvées comme des faits établis. Car - c'est ce que l'on entend, voit et lit partout - la transition de la production aux VE ne créerait pas moins d'emplois, mais davantage. Mais quiconque ne s'est pas arrêté pour réfléchir - également en termes d'emploi - sait que la réalité est différente. Les constructeurs qui, aujourd'hui, jurent solennellement fidélité au culte du véhicule électrique et condamnent à mort le moteur à combustion interne ne se rendent apparemment pas compte que leur production actuelle est constituée en grande majorité de modèles à moteur à combustion interne. Ils ne veulent pas voir qu'un tel changement de production nécessiterait une reconversion massive et extrêmement coûteuse et entraînerait le sacrifice inévitable de nombreux emplois. L'institut allemand IFO (Institut für Wirtschaftsforschung) a déjà calculé que cette transition colossale de la production coûtera 200.000 emplois à l'industrie automobile allemande.
L'industrie automobile commence à comprendre que la 'grande transition' pourrait être le pas de trop, tant sur le plan financier que social. En effet, la crise sanitaire et la pénurie de semi-conducteurs ne sont pas seuls responsables de la crise que traversent les usines automobiles. Malheureusement, il y a plus, beaucoup plus. Et il devient de plus en plus évident qu'une philosophie climatique que l'on croyait infaillible conduit notre industrie automobile, autrefois pourtant florissante, tout droit vers une traversée du désert sur le plan économique.