“DES JEUX DE LUMIERE POUR UNE ARCHITECTURE RICHE ET VARIEE”

L’ARCHITECTE NICOLAS BLONDEEL (ENPLUS ARCHITECTEN) NOUS FAIT PART DE SON POINT DE VUE

L’architecte Nicolas Blondeel travaille surtout pour des particuliers, mais espère pouvoir réaliser un chantier public. La création, c’est un principe profondément inscrit dans ses gènes, et quand on analyse ses projets d’habitation, on ressent tout de suite que quelque chose se passe grâce à une approche subtile. Une rencontre sous le signe de l’inspiration.

 

SA MAISON COMME LABORATOIRE

Au numéro 200A de la Visserij à Gand, une façade noire et blanche se démarque avec ses nombreuses fenêtres qui invitent le soleil levant à entrer. C’est dans ce biotope de tranquillité qu’habite et travaille l’architecte Nicolas Blondeel, quinquagénaire aux lunettes violettes. Derrière cette monture robuste se cache un homme qui sait ce qu’il veut en tant qu’architecte, et qui a clairement quelque chose à apporter à la construction d’habitations. “Ma propre maison est un laboratoire, j’y ai expérimenté tout ce qui se fait dans l’architecture.” Côté rue, le passant ne peut pas deviner l’univers qui se cache derrière la façade, un minivillage, à peu de choses près."

Complexité du terrain

Avant même de commencer l’interview, nous nous retrouvons dans le grand jardin qui abrite une sorte de maison de forme classique, comme dans le jeu Monopoly, qui se découpe sur fond de ciel bleu. Une forme archétypique où se mêlent zinc, acier et verre autour des restes d’un complexe industriel.

L’espace de vie et de travail a été pensé telle une ruelle dans cet immense jardin. L’architecte a dû s’adapter à un terrain difficile. A l’arrière, l’habitation partage une piscine en béton avec le voisin sur l’Achtervisserij – le bâtiment se trouve sur un îlot entre deux canaux.

De l’autre côté, le complexe de logements sociaux Hollain de Neutelings Riedijk est en pleine rénovation. “Je trouve aujourd’hui encore que c’est un excellent concept. Chacun dispose de sa petite terrasse et de son jardin”, explique l’architecte Nicolas Blondeel, diplômé en 1988 à Gand à l’Institut Sint-Lucas.

Pourquoi a-t-il choisi d’étudier l’architecture? Une question qu’on lui pose souvent, et dont la réponse témoigne encore d’un caractère résolument humain. “J’aime travailler avec des gens, et pour des gens. Et je voulais laisser quelque chose de beau et de concret …”

 

TERRAINS DIFFICILES

Le bureau de conception Enplus Architecten se consacre aux habitations pour particuliers. Nicolas Blondeel: “Dans ce segment, les décisions sont prises beaucoup plus vite et sont plus personnelles. Moins de deux ans après le premier contact, la maison est livrée. Je préfère un petit projet accompli tous les deux ans à un immense chantier tous les sept ans (rires). En plus, sur un chantier à court terme, vous êtes encore plus créatif.”

“L’architecture, c’est une question de sentiment et de details qui renforcent ce sentiment”

Comme pour sa propre maison et son atelier de conception, Nicolas Blondeel s’est spécialisé dans les transformations de parcelles complexes. Il est complètement opposé aux parcelles qui quadrillent la Flandre. “Je n’aime pas les haies et les délimitations. Lorsque je crée un volume, je préfère commencer par les 'espaces secondaires', comme les pièces extérieures, ou un endroit dont le voisinage pourra aussi profiter.

Aujourd’hui, le bureau réalise surtout des projets de nouvelles constructions, pour environ 70% des activités. Les 30% restants concernent des transformations. “La nouvelle construction a la cote aujourd’hui”, constate l’architecte. Comment contacte-t-il ses clients? “Le réseautage surtout, et naturellement aussi sur Internet. J’ai par exemple construit pour deux frères sans qu’ils sachent avoir fait appel au même architecte”, se souvient-il en anecdote.

 

CATHEDRALES

L’architecture, c’est quoi pour l’architecte?

“Une bonne orientation par rapport à la lumière, c’est ce qui rend notre architecture aussi riche et variée en Flandre par rapport aux pays où la lumière est beaucoup plus présente – en général dans les régions plus chaudes. Cela nécessite plus de créativité. Regardez nos plus belles cathédrales, les jeux de lumière y ont un sens. L’architecture, c’est du sentiment, et des détails pour renforcer ce sentiment. Prenez la façon dont on place un châssis. Vous pouvez les rendre plus vivants, en les plaçant plus à l’intérieur ou à l’extérieur, ou vous pouvez même aller vous poser dans le cadre. Cet endroit crée alors un espace supplémentaire où l’on fait une autre expérience.”

 

PROJECTION DANS L’ESPACE

Et ce ressenti des pièces, l’architecte Nicolas Blondeel peut en faire l’éloge sans fatiguer. Une pièce n’est pas l’autre, l’architecte joue sur les formes et les volumes. Son concept maison-atelier est une structure fascinante qui joue de façon agréable sur les différences de niveau et les jonctions, une syntaxe non sans rappeler Adolf Loos.

Selon Loos, l’extérieur et l’intérieur ont des fonctions architectoniques différentes. Nicolas Blondeel va encore plus loin: “Pour moi, ce n’est pas vraiment le cas. Nous dessinons d’abord les espaces extérieures, comme les salons de jardin qui, à leur échelle, dégagent un sentiment propre, un endroit qui induit l’ouverture ou justement le caractère clos d’un autre espace, ..." L’intérieur doit être en symbiose avec l’extérieur, afin d’amplifier l’écho des sentiments dans chaque pièce. L’extérieur est en fait un grand écran qui préserve l’intimité et qui se rapproche beaucoup plus de l’urbanisme. L’intérieur se déploie devant les occupants comme une mise en scène des différents espaces, chacun ayant son propre caractère.

“Dans cette vision, la répartition des pièces dépend du volume de construction. Pour moi, il faut justement faire l’inverse …Vous créez des sentiments, ce qui crée automatiquement un jeu de volumes, même à l’extérieur … Après, il ne reste plus qu’à ajouter des façades.”

 

OBSESSION DU CONTROLE

Les architectes sont des créateurs, même si cet aspect du métier est de plus en plus écrasé par des obligations récentes. Une attitude que l’on remarque: l’obsession du contrôle sur tout fait rage. “Je constate qu’on nous pousse toujours plus vers un modèle d’affaires. Est-ce une bonne chose? Dans tous les cas, les architectes font beaucoup trop d’heures supplémentaires et c’est peut-être de leur faute, mais n’oublions que les commanditaires sont beaucoup plus exigeants qu’avant. Nous utilisons des systèmes d’enregistrement des heures qui permettent de connaître le rendement, ce qui permet de voir qu’il est parfois préférable de ne pas accepter certains clients, par exemple pour les projets de moins de 100.000 euros. Les travaux en régie sont souvent une solution coûteuse pour le client. Mais l’architecte joue aussi un rôle social. Et les petits budgets aussi ont droit à un bel environnement et une architecture soignée.”

Le rôle des architectes est de plus en plus complexe. Il y a la responsabilité, et puis les normes qui changent à tout-va.

“Force est de constater que les normes ne concordent pas toujours, et s’opposent même régulièrement. Prenez par exemple l’isolation. Le bâtiment doit être étanche, mais dans certains cas, il doit être ventilé, s’il y a par exemple un feu au gaz. On peut évidemment réutiliser l’eau de pluie, mais la pose d’une toiture verte peut poser problème. Il n’y a pas que du négatif, bien sûr, je prends plutôt ça comme un défi.

"Mais tout évolue si vite qu’il est impossible de suivre. Quand je suis démoralisé, parfois, j’ai du mal à trouver le positif. Il y a trois ans, une maison avec un niveau E de 60, c’était une réelle performance, alors qu’aujourd’hui, c’est juste risible (on ne construit presque plus que des habitations quasi neutres en énergie). Ajoutez à cela un rendement difficile, ça devient vraiment beaucoup.”

Illusion

Le fait que les salaires des collaborateurs augmente rapidement, est aussi un nouveau phénomène. Nicolas Blondeel: “Les travailleurs sont plus chers, pas parce qu’ils gagnent plus, mais juste parce qu’il faut qu’il reste de l’argent jusqu’à la fin du mois. J’ai déjà remarqué que la jeune génération ne tient pas le coup et préfère partir pour des secteurs mieux payés et changer de métier. Je veux pouvoir faire vraiment bien ce que j’aime, et si ça ne fonctionne plus, je préfère arrêter plutôt que de devoir me satisfaire de projets moins intenses dans un bureau peut-être plus rentable. N’oubliez pas qu’en Flandre, la barre est placée très haut, les architectes fournissent un travail d’excellente qualité, et comme je l’ai déjà dit, le constructeur flamand est de plus en plus exigeant.”