Comment les supermarchés gèrent-ils la nouvelle législation sur le développement durable?
Il est nécessaire d'obtenir des données fiables de la part des fournisseurs
Dans un article d'opinion, Rob Morren, Sector banker Food chez ABN Amro, affirme que les supermarchés seront obligés d'être transparents et de faire des choix concernant la durabilité de leur assortiment. Qu'ils optent ainsi pour les fournisseurs les plus qualifiés lui semble une évidence.
Produits et production durables
"Il y a 25 000 produits différents dans un supermarché européen moyen. Dans les années à venir, les supermarchés et les fournisseurs seront contraints de déterminer avec précision le degré de durabilité de leurs produits et de leurs méthodes de production. Cette obligation découle de législations telles que la directive sur les rapports de durabilité des entreprises (CSRD) et la législation antidéforestation de l'Union européenne. Les fournisseurs qui ne sont pas en mesure d'y faire face de manière adéquate sont confrontés à un grave problème. Les rapports réglementaires sur le développement durable permettent aux supermarchés de comparer leurs fournisseurs avec de plus en plus d'objectivité."
Il n'est pas inconcevable que les fournisseurs dont les performances sont manifestement meilleures occupent une plus grande place dans les rayons des supermarchés
La somme de la qualité
Selon Rob Morren, les fournisseurs risquent de disparaître des rayons s'ils ne disposent pas de données fiables sur la durabilité dans la chaîne et s'ils ne peuvent pas communiquer ces données de manière cohérente et uniforme aux acheteurs tels que les supermarchés. S'ils fournissent des données uniformes et fiables, mais montrent qu'ils sont structurellement moins performants que leurs concurrents, ils courent le même risque. Ignorer une durabilité médiocre les désavantage encore plus par rapport à leurs concurrents. "Cela est particulièrement vrai lorsqu'il s'agit de produits interchangeables ou de moindre importance stratégique. Étant donné que les supermarchés et leurs fournisseurs doivent se conformer à la même législation en matière de durabilité, le degré de durabilité d'un supermarché est de toute façon principalement la somme de la qualité de tous les fournisseurs."
Pas de concession sur la qualité
"D'ailleurs, cela s'applique également aux fournisseurs eux-mêmes: les producteurs de denrées alimentaires s'approvisionnent en grande partie auprès d'autres producteurs. Eux aussi se jugeront mutuellement de manière plus stricte en termes de durabilité". Rob Morren espère que les supermarchés resteront aux côtés des fournisseurs pendant un certain temps, le temps de mettre de l'ordre dans les données relatives à la durabilité au sein de la chaîne. "Mais avec une moyenne de 25 000 produits, il est logique que les supermarchés ne le fassent pas éternellement. Ils laisseront progressivement le choix de la gamme se faire davantage en fonction de la durabilité des produits et de la capacité des entreprises à maintenir l'approvisionnement dans un monde turbulent. Les supermarchés veulent éviter les rayons vides et ne pas faire trop de compromis sur la qualité des produits. Il n'est pas inconcevable que les fournisseurs qui sont manifestement plus performants s'approprient une plus grande part de l'espace dans les rayons des supermarchés."
Delhaize: réfléchir activement avec les fournisseurs
Au fond, l'établissement de rapports sur le développement durable n'est pas une nouveauté pour Delhaize. Il y a plusieurs années déjà, Delhaize a inclus une section ESG (Environnement - Social - Gouvernance) détaillée dans ses rapports annuels. "Pour la gamme complète de produits de marque privée, Delhaize s'était donc déjà engagé à fond dans le développement durable, de sa propre initiative. Ce qui change aujourd'hui, sous l'impulsion de la législation, c'est que les rapports obligatoires devraient devenir plus larges, plus complets et plus professionnels. C'est en soi une bonne chose, car cela signifie que le rapportage de durabilité chez Delhaize sera placé encore plus haut dans l'agenda, qu'il sera plus large que "seulement" nos propres marques et que toutes les informations seront présentées dans des outils uniformes. Avec tous les avantages que cela comporte en termes de comparaison et de standardisation ", explique Roel Dekelver, Directeur Communications et Gestion des partenaires. "Le défi réside dans la rapidité de la mise en œuvre. Pendant des années, de nombreuses données ont été versées dans nos propres dossiers, de notre propre initiative, et soumis à des audits réguiers. Désormais, toutes ces informations doivent être intégrées dans des cadres définis et faire l'objet de rapports selon des schémas fixes, souvent très rapidement. Cela demande beaucoup d'efforts sur le plan administratif, mais en même temps, Delhaize en voit les avantages."
Delhaize souhaite surtout utiliser cette coopération approfondie avec les fournisseurs pour trouver une solution en cas de problème. Supposons que le reporting d'un fournisseur montre qu'il y a matière à amélioration, le fait de "retirer" ces produits des rayons donnerait en effet facilement "bonne conscience", mais cela ne résout pas le problème sur place. Retirer des produits de la vente ne fait qu'aggraver les problèmes d'un fournisseur. C'est précisément la raison pour laquelle Delhaize établit des relations (durables) à long terme avec ses fournisseurs, afin de pouvoir réfléchir et travailler activement avec eux sur leur durabilité. En résumé, chez Delhaize, nous considérons que " prendre ses responsabilités " va au-delà de la décision unilatérale de maintenir ou non des produits dans les rayons. En continuant à travailler sur ces relations avec les fournisseurs, nous pouvons certainement continuer à offrir la qualité que Delhaize représente. L'évolution du discours sur la durabilité aura un effet sur la manière dont les détaillants travaillent avec leurs fournisseurs, même si nous pensons que la réalité des chaînes de valeur durables est plus complexe que le simple exercice consistant à "cocher les cases"."
Colruyt Group: collaboration préconcurrentielle
Selon Colruyt Group, les entreprises seront en effet mieux comparées les unes aux autres en ce qui concerne leurs efforts et leurs responsabilités en matière de durabilité. "Ces normes contribueront à un meilleur alignement entre les méthodologies d'évaluation internationales actuelles qui sont imposées aux entreprises à tort et à travers et qui ne se correspondent pas en termes de sujets, d'indicateurs clés de performance et de justification. Aujourd'hui, cette comparaison est difficile", explique Astrid Van Parys, responsable du développement durable. "Le CSRD exige la transparence tout au long de la chaîne. Chaque acteur doit donc être en mesure d'assurer cette transparence. Ils devront être en mesure de la garantir non seulement pour nous, mais aussi pour tous les autres détaillants qu'ils approvisionnent."
Toujours selon Astrid Van Parys, outre la relation commerciale, un nouveau type de relation entre le fournisseur et le détaillant est en train d'émerger, qui est complémentaire de la relation commerciale. La relation entre les détaillants évolue également, avec de plus en plus de formes de collaboration préconcurrentielle. "Il s'agit d'une nouvelle dynamique positive. En rehaussant ensemble la norme du marché en termes de durabilité en tant que détaillants, nous facilitons la tâche des fournisseurs et permettons à tout le monde de se joindre à nous. D'ailleurs, le "commerce inclusif" et l'"approvisionnement durable" sont deux de nos 27 objectifs en matière de développement durable."
"Chaque détaillant développera sa propre stratégie pour traiter avec ses fournisseurs, à la fois en termes de réalisation des objectifs et de transparence. Nous constatons une augmentation des liens entre les deux. Des données fiables sont un premier pas vers la compréhension de la durabilité et vers une coopération plus forte. Il en va de même pour le groupe Colruyt, où la collaboration entre le détaillant et le fournisseur est naturelle depuis des années, certainement en ce qui concerne les marques propres. Nous croyons également que le développement durable offre des opportunités pour une coopération plus forte et une nouvelle façon de travailler avec les fournisseurs."
Aldi: important dans l'évaluation
Pour Aldi, le discount et le développement durable sont liés. "Nous ne devons pas considérer le développement durable comme un luxe, et c'est précisément là que nous avons un rôle à jouer en tant que discounter. Cela s'applique certainement aux produits qui se trouvent dans nos rayons. Nonante pour cent de notre assortiment sont constitués de marques privées, ce qui implique que nous en assurons la gestion. Les règles et mesures des différentes politiques d'achat sont intégrées dans notre processus d'achat. Les fournisseurs doivent s'y conformer pour pouvoir fournir des marchandises. Seuls les produits conformes à notre politique d'achat arrivent dans nos rayons. Lorsque nous envisageons de nouveaux objectifs, nous travaillons en étroite collaboration avec nos fournisseurs pour y parvenir", explique Stefaan De Schepper, directeur de la responsabilité d'entreprise.
En tant que membre de la Science Based Targets Initiative (SBTI), Aldi vise à réduire davantage les émissions de CO2 dans la chaîne avec ses fournisseurs. Le programme SBTI définit des objectifs de durabilité concrets de manière scientifique. "Nous invitons nos fournisseurs, qui sont responsables de 75 % de nos émissions de carbone, à adhérer à ce programme. Pour Aldi Belgique, cela concerne environ 150 fournisseurs au total. Nous les soutenons dans cette démarche en organisant des webinaires sur l'élaboration d'un plan climatique, entre autres."
Chaque année, Aldi Belgique organise Corporate Responsibility Supplier Evaluation ((CRSE, ou évaluation de la responsabilité d'entreprise des fournisseurs) au sein du groupe international Aldi Nord. Cette évaluation a été développée spécifiquement pour les fournisseurs des chaînes d'approvisionnement de produits sensibles tels que les fruits tropicaux et les textiles. "Les fournisseurs sont ainsi évalués en termes de transparence et de durabilité. Le processus d'évaluation est mené en étroite collaboration avec le fournisseur afin de déterminer, sur la base des résultats, les mesures à prendre, le cas échéant, pour améliorer encore les performances en matière de développement durable. Dans un premier temps, nous nous efforçons de trouver des solutions avec le fournisseur, mais si nous constatons un manque de progrès après une mauvaise note, nous pouvons décider de mettre fin à la coopération."
Carrefour: la coopération porte ses fruits
"Pour nous, le rapportage sur le développement durable n'est pas une nouveauté. Carrefour étant coté à la Bourse de Paris, nous sommes obligés de rendre compte de nos efforts en matière de développement durable depuis longtemps. Il en va de même pour nos fournisseurs français. Dans ce contexte, nous avons depuis longtemps l'habitude d'unir nos forces", explique Pascal Léglise, Corporate Social Responsibility and Quality Development Director chez Carrefour Belgique. "Si chaque acteur travaille séparément, nous n'obtiendrons jamais de changement social. Il y a des choses à améliorer dans le secteur de la distribution, et il en va de même chez les fournisseurs. Et chez les fournisseurs des fournisseurs. C'est donc toute la chaîne qui est concernée. Parfois, ce sont les détaillants qui font le premier pas, parfois c'est l'industrie, et celle-ci nous demande ensuite d'assurer le suivi de ce qu'ils ont développé. Je considère donc l'obligation de CSRD comme un formidable élan vers une coopération sociale encore plus poussée afin d'offrir à nos consommateurs les produits les plus durables possibles."
Carrefour est donc fermement convaincu qu'il ne sera pas nécessaire de mettre fin à la coopération avec les fournisseurs pour des raisons de durabilité. Au contraire. "Le rapportage est désormais formalisé selon certaines normes. Tout le monde doit parler le même langage et utiliser le même instrument de mesure, ce qui permet de comparer objectivement les fournisseurs. Cela permet également d'éviter l'écoblanchiment, ce qui est certainement une bonne chose. N'oubliez pas que les fournisseurs auditeront également leurs détaillants. Le rapportage de durabilité est sans aucun doute une histoire aux multiples facettes."