Une architecture en harmonie avec la nature

Bruno Erpicum ne cherche pas un compromis, mais une symphonie

Sur la magnifique avenue Baron Albert d'Huart à Kraainem, Bruno Erpicum est à la tête de l'atelier d'architecture qui porte son nom. Lorsque l'on s'entretient avec ce jeune quinquagénaire, on découvre un architecte à l'écoute de la nature. Sur les traces de Frank Loyd Wright.

Au-delà des frontières

"Il faut se plonger dans l'environnement". Voilà ce que dit toujours Bruno Erpicum. Lorsque l'on examine certains de ses projets, on constate d'emblée que la nature et la lumière y occupent une place centrale. Bon nombre de ses créations font la part belle à des paysages paradisiaques. Dans tous ses projets, Erpicum aime rendre hommage au paysage arcadien. 

En Belgique, Bruno Erpicum n'est pas un homme de publicité. Lorsque nous l'avons rencontré pour la première fois il y a plus de dix ans, ce fut une grande surprise. Son histoire était belle et éloquente. Erpicum fait partie de ces architectes qui ont déployé leurs ailes dans le monde entier. Aujourd'hui, les frontières géographiques ne représentent plus rien pour lui. Et il est fascinant de réaliser que son bureau d'une dizaine de personnes, installé dans une villa signée Adrien Blomme en périphérie de Bruxelles, parvient à s'intégrer si discrètement dans le monde global d'aujourd'hui. Bruno Erpicum et son équipe n'ont pas une once d'orgueil. Ils sont uniquement animés par l'amour de l'architecture.  

Une architecture moderne

Bruno Erpicum: "J'ai toujours été attiré par l'architecture 'moderne', plus particulièrement par les réalisations des années 1930-1940". Dès le départ, l'architecte s'est concentré sur la pureté des formes et des proportions, éliminant les éléments décoratifs.

D'où vient cette obsession? Bruno Erpicum: "Lorsque j'ai créé mon propre bureau en 1983, le postmodernisme régnait en maître, une tendance qui s'était concrétisée à Louvain-la-Neuve. Je ne m’y retrouvais pas. J'ai alors développé mon propre vocabulaire et cherché mon langage architectural." 

Frank Loyd Wright

Erpicum étudie à l'Institut Saint-Luc de Bruxelles mais part au Pérou en cinquième année. "J'avais envie d'explorer d'autres horizons. Pour moi, ce n'était pas si difficile car mon père était pilote et je pouvais prendre l'avion avec lui vers la destination de mon choix. À l'époque, j'étais attiré par Walter Gropius, Mies van der Rohe, Le Corbusier..."

"Pendant les premières années de ma pratique, j'ai beaucoup travaillé à l'étranger car il était trop difficile de trouver des clients en Belgique. Lors d'une de mes expéditions, j'ai été impressionné par la chapelle Wayfares de Frank Loyd Wright. L'œuvre de Frank Lloyd Wright a un lien profond avec la nature, son architecture met en valeur l'environnement naturel et inversement, la nature met en valeur son architecture."

C'est vers l'an 2000 que nous avons connu un tournant en Belgique, avec l'arrivée des premières commandes. "Comparé à autrefois, la situation actuelle est un paradis", déclare l'architecte. "Par ailleurs, je trouve que la vie en Belgique est agréable et parfaite."

Pourtant, à Bruxelles, beaucoup de réalisations art nouveau ont été démolies sans vergogne, comme la Maison du Peuple. Bruno Erpicum: "C'est vrai, mais en termes de style, on en avait assez à un moment donné. L’Art Nouveau a pris un caractère baroque... Trop, c'est trop. L'architecture moderne a brusquement mis un terme à ce mouvement."

Patine naturelle

Bruno Erpicum: "Dans les années '80, j'ai commencé à me rendre compte que la plupart des matériaux que l'on mettait en œuvre vieillissaient rapidement. Je ne les trouvais pas particulièrement durables. Ils nécessitaient un entretien régulier pour ne pas paraître 'usés' et délabrés. Peindre sur un revêtement n'améliore pas les choses, la dégradation est inévitable. Je voulais donc que le vieillissement se manifeste différemment et j'ai opté pour une patine naturelle."

"En 2016, j'ai eu une grande exposition à la Biennale de Venise. J'ai démontré que je pouvais travailler avec le béton de différentes manières: du béton brut au béton lisse, et même du 'béton sale'. Quel plaisir! Aujourd'hui, nous travaillons avec des matériaux qui ne s'usent pas, mais qui s'embellissent avec le temps. Le vieillissement devient alors patine: un processus où la nature a le dessus. En tant qu'architectes, nous avons le devoir de construire en faisant attention. Il s'agit de respecter la nature, l'environnement, mais aussi les personnes qui occupent la maison".
"Mon architecture est un exercice qui consiste à effacer l'humain par rapport à la nature. Cela paraît extrêmement simple, mais pour arriver à cette simplicité, j'ai parcouru un long chemin".

Ne pas voler la vedette à la nature

Bruno Erpicum: "Mes premières constructions se situaient dans un environnement naturel. J'étais content à l'époque, mais par la suite, j'ai réalisé que je n'étais pas sur la bonne voie et que l'intégration n'était pas tout à fait correcte. Aujourd'hui, je dis que l'architecture ne doit pas voler la vedette à la nature. Un architecte doit oeuvrer pour la nature et non pour l'architecture. Je travaille actuellement sur plusieurs maisons en Grèce. Une fois qu'elles seront terminées, elles seront invisibles." Il nous montre le terrain où ces maisons sont situées, mais complètement cachée à la vue. Elles existent, mais pas visuellement. "Ce qui compte pour l'architecture, c'est la nature, l'environnement. C'est plus important que la culture, l'économie et la technologie."

À propos de sa méthodologie, Bruno Erpicum déclare: "Nous commençons toujours par l'étude du site. C'est à ça que j'accorde le plus d'attention. Pendant des mois, j'ai le projet en tête. Ensuite, je commence à faire des croquis et j'apporte les dessins à mes clients." Il nous montre un croquis... il n'y a pas grand-chose dessus, pas au sens architectural du terme en tout cas. Il s'agit d'un vague dessin dans lequel il encadre soigneusement un bout de nature. On y voit un arbre exotique, un coin de plage et une surface d'eau ondulante. Un paradis perdu. "Il s'agit de ce terrain-là. Moi, j'y ajoute juste une petite touche d'architecture. Ni plus, ni moins ».

Lecture de l'environnement

"Notre philosophie est très simple. Ce n'est pas le projet qui est important, mais la lecture de l'environnement. Il faut s'en imprégner, 'digérer' l'environnement. L'émotion et aussi l'intemporalité, ou plutôt le fait de braver le temps, sont très importants pour moi dans mes projets." En outre, l'architecte attache une grande importance à sa relation avec les clients. "Toutes les parties sont importantes. Je ne recherche pas un compromis, mais plutôt une symphonie."

En ce qui concerne l'empreinte écologique, êtes-vous également revenu à un nouveau point? Bruno Erpicum: "Laissez-moi poser cette question: l'écologie nous ramènera-t-elle à une vie plus essentielle? Je ne pense pas. Le mouvement écologique qui se dit plus économe en termes de consommation, eh bien je n'y crois pas. À mon avis, ce n'est pas vrai. On utilise encore de l'aluminium pour les fenêtres, ainsi que du plastique. Le béton aussi est encore appliqué." 

Optimiste

La circularité est-elle importante pour vous? Bruno Erpicum: "Surtout si vous voulez obtenir un permis de construire. Il s'agit souvent d'une question d'autorisation, mais le dialogue permet d'aller beaucoup plus loin. L'important, c'est de rester dans la discussion. Nous pouvons argumenter et faire remarquer aux autorités compétentes que nous devons travailler de telle ou telle manière. Dans 50% des cas, il est agréable d'être d'accord avec ces instances et de penser que nous évoluerons ensemble. Je suis vraiment optimiste dans ce domaine. Concevoir des maisons nécessite un œil attentif, mais il faut aussi écouter attentivement les clients et leur fournir des réponses, rien de plus."

"Dans certains projets, j'applique du béton, donc oui, je crée du CO₂ mais cela s'étale dans le temps. Selon moi, il est actuellement impossible de construire sans CO₂. Prenons l'exemple de la production de verre, qui implique une énorme quantité de CO₂. Je suis favorable à ce qu'il n'y ait plus de permis de construire dans le monde entier, car il y a suffisamment de bâtiments dans le monde pour que chacun ait un endroit agréable. Je démolirais juste les bâtiments qui ne valent plus rien et je les remplacerais par une architecture de qualité, je garderais les belles constructions. Nous pourrions faire de Bruxelles une si belle ville. Ma vie est décidément trop courte!"

Dali

Le musée Dali au cœur de Londres est situé en face de Big Ben sur les rives de la Tamise, il s'étend sur une surface de 3.000 m² au rez-de-chaussée du County Hall. Le maître d'ouvrage Beniamino Levi, qui a autrefois assisté l'artiste dans la création de ses sculptures, a jugé bon d'utiliser son musée comme un véritable teaser public. Le musée accueille un quart de million de visiteurs par an. L'espace devant le musée se compose de deux parties distinctes: l'ancien bâtiment, structuré de manière rythmique, et la nouvelle enceinte en acier du bâtiment, qui ressemble à une 'chaussette tricotée', où sont exposées les œuvres d'art du surréaliste.

Erpicum a conçu un mur pivotant avec un effet de miroir. Inutile de dire que le visiteur non averti est dérouté. La lumière a un effet envoûtant, plongeant le visiteur dans une confusion surréaliste. Grâce à cette lumière mystique et insaisissable, Erpicum parvient à évoquer un décor brillamment surréaliste. Les structures métalliques torsadées du bâtiment sont un clin d'œil amusant à l'œuvre du maître. D'ailleurs, dans ce bâtiment, on trouve de l'acier sous toutes ses formes: brut, rouillé, poli, sablé ou oxydé.

Tensions visuelles

D'ailleurs, Bruno Erpicum sait manier l'acier. Dans le village wallon de Nassogne, entre Sambre et Meuse, il a transformé un vieux chalet en une maison de campagne. Le bâtiment existant est sombre et fermé. Erpicum a ajouté à l'espace existant une salle de séjour lumineuse qui flotte pour ainsi dire au-dessus de la nature. Une fine structure métallique composée de tubes soutient les murs de verre. Il s'agit d'un projet de petite taille mais raffiné, où la structure transparente éphémère se marie au maximum avec la nature environnante. Les contrastes entre la culture et la nature, entre l'intérieur et l'extérieur, entre les matériaux anciens et nouveaux, entre la lumière et l'obscurité sont très marqués. Aucune évidence ne s'impose ici. Il s'agit d'un concept bien pensé dans un champ plein de tensions visuelles.

Design

Erpicum crée également des produits 'design': robinets, portes coulissantes, poignées de porte, interrupteurs... tous cçus dans le style le plus simple, presque invisibles. "Cela me procure énormément de plaisir. De plus, ces éléments sont tellement sexy à utiliser". Des portes pivotantes aux portes coulissantes en passant par les portes à charnières. Les lampes d'Erpicum peuvent être utilisées de manière multifonctionnelle, pour l'éclairage ou la ventilation, mais elles servent également de haut-parleurs, de détecteurs, etc. "Je travaille actuellement à la conception d'un portemanteau et d'une table".