Maintenance prédictive: entretenir, c'est prévoir
un diagnostic précoce de la santé des actifs est payant
La maintenance prédictive a la possibilité d'accroître la fiabilité des biens d'équipement, de réduire les coûts de maintenance et d'augmenter le temps de fonctionnement des installations, mais elle est complexe et difficile à mettre en œuvre. Dans le cadre du projet PrimaVera, une équipe de scientifiques et d'entreprises développe de nouveaux algorithmes de big data afin de mieux prévoir les pannes et planifier la maintenance. La chef de projet Marielle Stoelinga parle des problèmes qui font obstacle à la mise en œuvre de la maintenance prédictive et des solutions possibles pour y remédier.
Méthodologie
La maintenance des systèmes de haute technologie est cruciale. Elle porte sur la fiabilité, la disponibilité et la rentabilité d'une installation, ainsi que la sécurité des personnes impliquées et de leur environnement. La maintenance prédictive peut assurer tout ça mais elle nécessite des méthodes de prévision précises. En outre, il faut des méthodes opérationnelles pour convertir réellement ces prévisions en décisions de maintenance utilisables. Comme cette méthode affecte plusieurs phases du processus de production, une approche holistique et multidisciplinaire est nécessaire.
"La maintenance prédictive a beau être prometteuse, de nombreuses entreprises ont du mal à la mettre en œuvre, et ce pour diverses raisons", explique Marielle Stoelinga, professeur de gestion des risques des systèmes de haute technologie et chef du projet PrimaVera (voir encadré), qui joue un rôle important dans le développement et la mise en œuvre de la maintenance prédictive.
Projet PrimaVera
PrimaVera est la contraction de 'Predictive Maintenance for Very Effective Asset Management'. Ce projet est mené par une équipe pluridisciplinaire de scientifiques et d'entreprises dont le champ d'action englobe l'ensemble de la chaîne de maintenance. L'ambition est de développer de nouveaux algorithmes de big data afin de mieux prévoir les pannes et planifier la maintenance. L'objectif ultime est de créer des 'self maintaining systems': la réalisation d'actifs intelligents connectés via l'Internet des objets. Ces derniers collectent en permanence des données sur leur état, leur charge et leur environnement, et décident de manière autonome si et quand un certain type de maintenance est nécessaire. Pour la mise en œuvre de ce projet, un montant de 5 millions d'euros a été mis à disposition par l'organisme de financement scientifique néerlandais NWO et par les entreprises participantes dans le cadre du Nationale Wetenschapsagenda néerlandais.
obstacles à la réalisation
Stoelinga cite quatre causes à la difficulté de réaliser une maintenance prédictive.
Qualité des données collectées
"Le principe du garbage in, garbage out s'applique à l'analyse des données et à l'intelligence artificielle (IA). Nous constatons souvent que les entreprises disposent de nombreuses données, mais que ces dernières ne sont pas toujours de bonne qualité. Les bonnes caractéristiques font souvent défaut. Par exemple, il arrive que les données soient écrasées lorsqu'un composant est remplacé. Cela peut être un choix logique si elles ont été collectées pour faire un inventaire des actifs actuels, plutôt qu'à des fins de maintenance. Les données historiques, nécessaires pour identifier les composants susceptibles de tomber en panne, sont alors inutilement perdues."
Un mélange de données de test et de données opérationnelles peut également conduire à des résultats incorrects. En effet, dans un environnement de test, il y a d'autres facteurs que dans un environnement de production. Stoelinga conseille de commencer la collecte de données à petite échelle et de vérifier soigneusement si elle aboutira à des résultats fiables.
"La maintenance prédictive nécessite une approche holistique et multidisciplinaire"
Absence d'objectif
Lors de la mise en œuvre de la maintenance prédictive – et en fait avec toute forme d'analyse de données – il est important d'avoir une idée claire de ce que l'entreprise ou l'organisation souhaite réaliser avec les données collectées: effectuer la maintenance, augmenter le temps de fonctionnement ou réduire les coûts. Ici aussi, le conseil est le suivant: commencez petit.
"Cela peut se faire, par exemple, en concentrant l'introduction de la maintenance prédictive sur une seule machine ou une seule partie de l'entreprise; rien que ça, c'est un projet en soi. Souvent, on voit alors rapidement où se situent les goulots d'étranglement et comment les résoudre. En définissant clairement à l'avance à quoi sert la collecte de données, on améliore considérablement la qualité et la facilité d'utilisation."
Algorithmes
Les algorithmes sont souvent appliqués sur les données afin d'en extraire des informations précieuses. La nature des instructions détermine la qualité du résultat final. Selon Stoelinga, les entreprises doivent toujours examiner attentivement les algorithmes qu'elles utilisent et se préparer à l'utilisation éventuelle d'algorithmes de type 'black box' (voir encadré).
"Bien que ce ne soit pas toujours facile – en effet, il s'agit de tâches supplémentaires –, il est important que le processus reste transparent et compréhensible à tout moment. Pour ce faire, il faut prendre le lead et consigner en permanence comment un certain résultat a été atteint."
Algorithme 'black box'
Un algorithme classique est établi comme un plan à étapes à partir du haut puis il est étendu et/ou affiné à mesure que les règles se compliquent ou lorsqu'il faut faire des exceptions. Toutefois, en raison de cette complexité accrue, les algorithmes font de plus en plus appel à l'intelligence artificielle (IA). Il s'agit d'algorithmes d'auto-apprentissage qui font des prédictions sur base, par exemple, d'un réseau neuronal. Ces algorithmes peuvent être considérés comme une black box, car il est difficile de retracer comment un tel réseau neuronal a été créé.
Investissement
Une mise en œuvre réussie nécessite un investissement. Cela implique non seulement du matériel (stockage de données) et des logiciels (algorithmes), mais aussi des personnes: le 'mindware'. Stoelinga conseille de constituer une équipe multidisciplinaire. "Celle-ci doit être composée d'ingénieurs de production et de maintenance, de plusieurs data scientists et de techniciens de maintenance. En impliquant dans le projet à la fois la direction et les travailleurs sur le terrain, on crée une assise et les connaissances acquises deviennent des connaissances partagées."
Transformation
Les techniques actuelles de maintenance prédictive fonctionnent principalement sur des systèmes à petite échelle, qui ne sont pas toujours évolutifs.
"Les petits systèmes sont moins complexes. Le comportement d'une seule pompe est plus facile à mesurer et à prévoir que celui d'une installation comportant plusieurs machines composées de multiples éléments. L'introduction de la maintenance prédictive est une forme de transformation numérique, où les données jouent un rôle central et les processus opérationnels sont organisés autour de ces données. Cela nécessite des compétences différentes de la part des techniciens de maintenance: moins d'identification des pannes et de leurs causes, et plus de compétences numériques pour interpréter les données, par exemple."
La maintenance prédictive nécessite donc une adaptation des processus opérationnels utilisés. "Si ce ne sont plus des experts en maintenance mais des algorithmes qui déterminent les actions de maintenance à effectuer, de tels ajustements sont nécessaires, et les facteurs techniques et humains jouent un rôle à cet égard", explique Stoelinga.
Facteurs techniques
"Les facteurs techniques comprennent la méthode de mesure: quels capteurs placez-vous, combien et où? Le choix de certains types de capteurs et de mesures affecte le type et la qualité des prédictions. C'est pourquoi PrimaVera développe des méthodes d'optimisation transnationale. L'optimisation s'effectue alors à plusieurs niveaux simultanément. Par exemple, on n'installe pas seulement les capteurs qui donnent les meilleures valeurs – optimisation à un seul niveau – mais aussi ceux qui fonctionnent le mieux pour les étapes suivantes de la chaîne de maintenance prédictive."
"L'introduction de la maintenance prédictive est une forme de transformation numérique"
"En outre, la planification est plus complète que les seules actions de maintenance. Elle implique l'ensemble de la chaîne logistique, y compris le personnel, le matériel de maintenance et les équipements. L'idéal serait de regrouper plusieurs activités de maintenance. Il est alors utile de savoir si l'on peut effectuer certaines actions de maintenance un peu plus tard, sans trop augmenter le risque de défaillance."
Facteurs humains
Comme exemple du facteur humain, Stoelinga mentionne le fait que toutes les recommandations des systèmes numériques ne sont pas réellement suivies. Elle établit une comparaison avec les panneaux au-dessus des autoroutes. "Ils sont destinés à améliorer la circulation et à prévenir les embouteillages, mais comme les recommandations sont mal suivies, on obtient en fait plus d'embouteillages. Si les gens ne suivent pas correctement les recommandations produites par les algorithmes de maintenance prédictive, tout cela n'aura servi à rien. Il est donc important que la mise en œuvre de la maintenance prédictive repose sur un soutien suffisant et une bonne gestion du changement."
"Nous avons déjà fait beaucoup de progrès, par exemple dans le traitement de l'incertitude, la génération automatique de modèles et la combinaison de plusieurs mécanismes de dégradation dans un seul et même modèle. La création d'actifs intelligents et autonomes qui s'entretiennent tout seuls reste notre point à l'horizon", poursuit-elle.