L'énergie, le climat et une révolution inévitable
CHRONIQUE - FERRE BEYENS, ANALYSTE/JOURNALISTE AUTOMOBILE
L'industrie automobile dérive dangereusement sous l'effet d'un puissant courant d'une hystérie climatique quasi-dogmatique. Les constructeurs automobiles sont la cible d'amendes déraisonnablement élevées en matière d'émissions. Le seul moyen de se prémunir d'un dérapage climatique incontrôlé serait de se tourner vers les nouveaux entraînements électromagnétiques. Daniel Yergin, vice-président d'IHS Markit, collaborateur du Wallstreet Journal et lauréat du prix Pulitzer, nous propose une esquisse de perspectives peu réjouissantes pour l'industrie automobile, notamment à cause de cette électrification généralisée. Dans son dernier ouvrage, "The New Map", on découvre comment, plus d'un siècle après Henry Ford, l'humanité s'apprête à basculer dans une deuxième révolution automobile.
"Le permis de conduire est loin du rite de passage à l'âge adulte auquel il était autrefois associé"
Le sentimentalisme vert a toujours été piètre conseiller. Ce qui n'empêche pas une forme d'inquisition écologique de canaliser le karma climatique militant et de condamner au bûcher nos moteurs à combustion, sans autre forme de procès. À partir de 2035, GM ne construira que des VE. Ford, Toyota, VW et Volvo s'engagent dans la même direction. La Californie, la Grande-Bretagne et d'autres pays veulent arrêter définitivement la vente de nouvelles voitures à moteur à combustion interne. Des réductions d'émissions plus strictes sont imposées partout. Les politiques et les constructeurs automobiles n'en démordent pas. Il n'y a pas un seul 'climatologue' qui puisse - ou qui prenne le risque de (!) - quantifier la valeur ajoutée exacte de cette transition colossale. Au final, qu'est-ce que cette transition des énergies fossiles à l'électricité va nous apporter réellement en termes d'efficacité énergétique, d'environnement et de climat ? Alors oui, nous avons accès à des faits quantifiés, mais ils s'écartent trop de la façon de faire que l'on nous impose et qui condamne, à tort, le moteur à combustion au final pas si coupable que ça.
Le passage du fossile à l'électrique n'est malheureusement pas la seule n'est pas seul responsable de la tempête qui menace le secteur automobile. Voitures autonomes, connectivité intrinsèque, compagnies de taxis déployant des robots-taxis 'sans chauffeur'. Voyez le géant chinois de l'Internet Baidu, spécialisé dans l'intelligence artificielle, qui déploie déjà des robots-taxis et des camionnettes sans conducteur à Pékin et à Guangzhou. On assiste à l'émergence d'entreprises qui ne construisent ni ne vendent de véhicules, mais offrent constamment une mobilité garantie en tant que service. Bienvenue dans le nouveau monde de l'automobile, écrit Daniel Yergin dans "The New Map". Ou comment la convergence des véhicules électriques, autonomes et connectés vient bouleverser l'économie automobile.
Le nouveau monde AutoTech est inéluctable et aura un impact en profondeur sur nos vies personnelles également. Dans les villes, l'histoire d'amour avec la voiture cédera bientôt la place au confort d'un service de mobilité. En dehors de la ville également, la voiture en tant qu'expression de l'identité va rapidement disparaître. Seule une minorité passionnée restera fidèle à la propriété de la voiture et continuera à s'asseoir derrière le volant. Pour les jeunes, le permis de conduire n'aura plus rien du rite de passage à l'âge adulte auquel il était autrefois associé. Une application Uber, liée à la carte de crédit de maman ou papa, leur garantira une mobilité individuelle. Pour la génération future, conduire une voiture reviendra un peu à écrire sur une machine à écrire pour les jeunes d'aujourd'hui.
La diminution radicale de la consommation de combustibles fossiles entraînera une forte baisse des recettes publiques provenant des taxes sur les carburants. Les recettes provenant des taxes sur les voitures et les conducteurs dépendront de plus en plus des péages. Ces péages seront enregistrés de manière transparente par des capteurs qui suivent en temps réel le trafic des voitures autonomes et non autonomes. Les transports publics seront confrontés à une diminution du nombre de passagers, car de plus en plus de personnes apprécieront le confort et la commodité de la mobilité individuelle robotisée. Dans le nouveau monde de l'automobile - dont les initiés disent qu'il n'est plus qu'à une dizaine d'années - le travail à domicile sera bel et bien ancré comme nouvelle norme. Comme nous l'avons vu pour la première fois pendant la crise de la COVID-19, le travail à domicile peut être appliqué à grande échelle. Les jours où les gens doivent de toute façon se rendre au travail, la mobilité robotique se chargera des trajets domicile-travail, ce qui permettra de gagner du temps de travail supplémentaire ou de profiter des possibilités de loisirs numérisés. Les ventes de voitures chuteront, et donc leur construction également. L'industrie automobile et tous les secteurs dépendants de la possession personnelle d'une voiture emploieront donc nettement moins de travailleurs.
Les implications géopolitiques renforceront la rivalité industrielle entre l'Occident et la Chine. Dans "The New Map", on nous rappelle que Pékin s'est fixé comme objectif fondamental de remonter dans le classement mondial de la production de véhicules neufs. Raison pour laquelle la production automobile en Chine est devenue une industrie stratégique de base. Toutefois, en tant que premier marché automobile mondial, la Chine est arrivée trop tard pour rattraper, en termes de technologie et d'industrie, les constructeurs automobiles à moteur à combustion interne bien établis. En se concentrant rapidement sur la motorisation électromagnétique, la Chine s'est offert une fameuse longueur d'avance dans les chiffres de production et représente aujourd'hui un concurrent redoutable de l'Occident bien établi en termes de technologie automobile. En outre, la Chine dispose de réserves gigantesques de lithium, à peu près la base d'un VE, et détient plus de 80 % de la production mondiale de cellules de batterie. Et... pour les logiciels et les données numériques constituant le système nerveux centraux de la voiture connectée, c'est aussi en Chine que les principales avancées sont réalisées, ce qui ajoute encore à la tension dans ce domaine.
Nous n'en sommes pas encore tout à fait à l'ère de l'AutoTech, mais c'est pour bientôt, et selon Daniel Yergin, les conséquences seront incalculables. Une ère qui s'annonce telle un cataclysme, qui fera passer la révolution automobile industrielle d'Henry Ford pour une délicate brise d'été.
"Pour la génération future, conduire une voiture reviendra un peu à écrire sur une machine à écrire pour les jeunes d'aujourd'hui"