PLEINS FEUX SUR LES TAXES AMERICAINES A L’IMPORTATION SUR L’ACIER ET L’ALU
Conséquences désastreuses pour le secteur de l’acier européen
L’industrie de l’acier européenne se porte bien ... mais pour combien de temps encore? Le secteur a connu comme les années précédentes une croissance énorme en 2017. Le nombre d’emplois n’a plus reculé pour la première fois depuis longtemps. Les secteurs utilisant l’acier prospèrent, en outre, aussi. En bref, tous les paramètres économiques étaient favorables à l’industrie de l’acier européenne. Jusqu’à l’instauration en mars par le président américain Donald Trump de taxes générales à l’importation de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium. Il est temps de revenir sur les événements et d’examiner à quoi nous pouvons nous attendre.
SECTEUR DE L’ACIER EUROPEEN EN PLEINE CROISSANCE
Commençons par quelques chiffres de l’association européenne de l’acier EUROFER. En 2017, le secteur européen a connu une croissance de 1,3%. La consommation d’acier totale est passée à 159 millions de tonnes. En 2018 aussi, l’organisation s’attend sur la base du premier trimestre à une hausse de 2,3%, avec une consommation d’acier totale de 162 millions de tonnes, et même en 2019, une hausse de 1,6% est attendue. Le secteur de l’acier doit surtout cette croissance aux bonnes prestations des secteurs utilisant l’acier. Ils ont connu en 2017 une croissance moyenne de 5%:
- Le bâtiment, représentant 35% de la consommation d’acier totale: croissance de 4,8%;
- Le secteur automobile, représentant 19% de la consommation d’acier totale: croissance de 3,7%;
- La construction de machines, représentant 15% de la consommation: croissance de 6%.
En 2018 aussi, ces secteurs poursuivent leur croissance, bien que dans une moindre mesure. Au premier trimestre de cette année, nous notons une croissance moyenne de 2,7%.
Importation d’acier
Autre fait marquant: au deuxième semestre de 2017, l’importation d’acier n’a pas augmenté pour la première fois en six ans. Cela signifie selon Axel Eggert, directeur général d’EUROFER, que les fabricants d’acier européens ont pu profiter de la croissance dans le secteur, au lieu des entreprises importatrices. Voilà pour les bonnes nouvelles. Au premier trimestre de 2018, l’importation a, en effet, augmenté de 8% par rapport au trimestre précédent. Si cette tendance se confirme, cela signifie une hausse alarmante de 15% d’acier importé en Europe par rapport à 2017. Cette hausse est due à la taxe à l’importation sur l’acier et l’aluminium introduite par le président américain Donald Trump. De nombreux importateurs d’acier ont cherché de manière proactive de nouvelles destinations pour leur acier, avant même l’entrée en vigueur des taxes à l’importation. De l’acier qui atterrit maintenant de façon indésirable sur le marché européen.
Trump invoque l’article 232 du Trade Expansion Act, stipulant que le president peut introduire des taxes
a l’importation si les importations risquent de mettre la securite nationale en peril
TAXES A L’IMPORTATION AMERICAINES
C’est début mars que Trump attache le grelot sur Twitter: “Our steel and aluminum industries (and many others) have been decimated by decades of unfair trade and bad policy with countries from around the world. We must not let our country, companies and workers be taken advantage of any longer. We want free, fair and SMART TRADE!” Traduit librement: l’industrie américaine de l’acier et de l’aluminium est limitée dans sa croissance et cela doit changer. Des chiffres prouvent qu’en 2011, les USA ont importé au total 20 millions de tonnes d’acier. En 2015, l’importation d’acier était de 35 millions de tonnes et encore 26 en 2017, env. 25% de la consommation d’acier totale (env. 100 millions de tonnes en 2017). Quelques semaines plus tôt, le ministre des Affaires économiques Wilbur Ross avait bouclé son étude sur l’importation d’acier et d’aluminium aux Etats-Unis et fait trois propositions pour protéger l’industrie de l’acier américaine:
- Une taxe à l’importation générale de 24% sur tous les produits d’acier de tous les pays;
- Une taxe à l’importation de 53% sur tous les produits d’acier provenant d’une liste de 12 pays (Brésil, Chine, Costa Rica, Egypte, Inde, Malaisie, Corée du Sud, Russie, Afrique du Sud, Thaïlande, Turquie et Viêt Nam);
- Un quota de 63% sur tous les produits d’acier sur la base des produits d’un pays introduits aux Etats-Unis en 2017.
Article 232
Une taxe à l’importation générale d’‘un peu moins de 25%’ sur tous les produits d’acier issus de tous les pays a finalement été choisie. Le président américain Trump invoque pour cela l’‘Article 232’ du Trade Expansion Act de 1962, stipulant que le président peut introduire des taxes à l’importation sur certains produits d’autres pays, si l’importation a lieu dans des quantités ou des conditions telles qu’elle risque de mettre la sécurité nationale en péril.
La décision d’imposer des taxes sur l’acier et l’aluminium est, par ailleurs, controversée aussi aux USA et parmi les conseillers du président Trump. Selon le sénateur républicain Pat Toomey de Pennsylvanie, les taxes ne sont ainsi pas une réponse à une menace réelle pour la sécurité nationale, mais plutôt une mesure protectionniste dictée par des motivations économiques. D’autres personnes estiment que les taxes à l’importation ont pour le moment fait plus de mal que de bien pour l’économie, en raison des contre-mesures d’autres pays.
Exceptions
Le 8 mars, le président américain a annoncé que les taxes à l’importation entreraient en vigueur quinze jours plus tard. Au départ, l’Union européenne, le Canada, le Mexique, l’Australie, l’Argentine, le Brésil et la Corée du Sud étaient dispensés de cette mesure. Pour l’UE, le Canada et le Mexique, cela n’a été que temporaire, car depuis le 1er juin, la taxe à l’importation de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium est d’application pour eux aussi. Entre-temps, la Corée du Sud, l’Australie, le Brésil et l’Argentine ont été définitivement dispensés de ces taxes, car ils sont arrivés à un accord sur un quota de 70% sur tous les produits d’acier qui ont été introduits aux USA en 2017.
GUERRE COMMERCIALE AVEC LA CHINE
Les taxes ont quasiment directement généré un conflit commercial entre la Chine et les USA. Dans cet article, nous n’allons pas nous attarder sur ce conflit entre les deux pays, car cela nous éloignerait trop de l’histoire sur les taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium, et les surcapacités d’acier, sur lesquelles nous reviendrons plus loin dans cet article.
Les deux pays se sont lancés dans une lutte œil pour œil, dent pour dent. Les taxes à l’importation sur certains produits d’un côté ont donné lieu à des taxes à l’importation sur d’autres produits de l’autre côté, etc. La politique internationale craignait une guerre commerciale. Le président américain Trump a finalement posté ce tweet: “We are not in a trade war with China, that war was lost many years ago by the foolish, or incompetent, people who represented the U.S. Now we have a Trade Deficit of $500 Billion a year, with Intellectual Property Theft of another $300 Billion. We cannot let this continue!”
L’EUROPE RIPOSTE AUSSI
L’Europe condamne aussi la 'mesure commerciale protectionniste’ des Etats-Unis. ”L’UE estime que ces taxes à l’importation unilatérales sont illégitimes et, de plus, contraires aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)”, a déclaré début juin Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. “Il s’agit d’une mesure protectionniste. Il est tout à fait inacceptable qu’un pays impose des mesures de manière unilatérale quand il est question de commerce mondial. Nous avons pourtant tenté de discuter à tous les niveaux possibles avec les Etats-Unis pour aborder ensemble le problème de surcapacités dans le secteur de l’acier. C’est, en effet, toujours le cœur du problème.”
Surcapacités
Le secteur de l’acier constitue une branche cruciale de l’économie de l’UE. Il offre du travail à des centaines de milliers de citoyens européens. Une étude d’Oxford Economics démontre même que non moins de 2,5 millions de travailleurs en Europe sont impliqués indirectement dans l’industrie européenne de l’acier, soit 7,7 fois plus que les emplois directs dans le secteur. Ce facteur est nettement plus élevé que celui d’autres secteurs et peut s’expliquer par la longue chaîne d’approvisionnement. De nombreuses entreprises sont, de ce fait, impliquées dans l’industrie de l’acier. En raison de l’essor de l’économie, notamment en Chine, les surcapacités mondiales dans la production d’acier ont atteint en 2016 un niveau record de 737 millions de tonnes. Les prix de l’acier ont dès lors chuté à des niveaux intenables et cela a eu des conséquences néfastes pour le secteur de l’acier et les secteurs industriels et emplois y étant liés. D’où la prise d’un certain nombre de mesures de protection commerciales, parmi lesquelles des droits antidumping et antisubventions, pour protéger l’industrie de l’acier dans l’UE des conséquences du commerce déloyal. Ces mesures ne s’attaquent toutefois pas aux causes profondes des surcapacités. C’est pourquoi des initiatives ont été prises, comme la création du Forum Mondial sur les surcapacités d’acier, dont font partie 33 économies de tous les membres du G20 et d’autres membres intéressés de l’OCDE. Fin 2017, les membres du Forum Mondial ont approuvé diverses mesures stratégiques qui seront exécutées en 2018 et 2019, afin de s’attaquer aux surcapacités mondiales dans le secteur de l’acier.
”L’Europe estime que ces mesures protectionnistes sont illegitimes et contraires aux regles de l’OMC. Il est completement inacceptable qu’un pays impose des mesures de maniere unilaterale quand il est question
de commerce mondial”
“Nous avons également souffert des surcapacités et des prix de dumping, qui sont surtout l’œuvre de la Chine. Si les acteurs mondiaux ne respectent pas les règles, tout le système risque de s’effondrer. Par conséquent, l’Europe n’est pas la cause des surcapacités, mais est touchée par ces mesures des USA. Ils ne nous laissent pas d’autre choix que de poursuivre nos contre-mesures. Nous défendrons sans aucun doute les intérêts de l’UE, dans le respect de la législation commerciale internationale”, déclare Juncker.
Encore plus d’acier sur le marché européen …
Sur l’exportation totale de produits d’acier d’Europe, 16% partent pour les Etats-Unis. En raison des mesures protectionnistes, (une partie de) cet acier revient à présent sur le marché en Europe. D’autres pays amèneront, en outre, aussi l’acier ne pouvant plus finir aux Etats-Unis en Europe. En 2017, les Etats-Unis ont importé 35 millions de tonnes et l’Europe 40 millions de tonnes d’acier. ”Mais ce sont les mêmes pays et entreprises qui exportent aux Etats-Unis comme en Europe. Prenez par exemple une entreprise du Brésil ou de Corée du Sud, ayant conclu un accord avec les Etats-Unis sur un quota de 70%. Cela signifie que 30% de leur acier produit devra aller ailleurs”, explique Eggert. ”Avec les taxes à l’importation, les USA espèrent retenir au moins un tiers de l’acier importé à la frontière. Environ 30 millions de tonnes d’acier supplémentaire envahiront le marché européen, avec des conséquences désastreuses pour l’industrie de l’acier. Des usines devront fermer et de nombreux emplois seront perdus si nous n’endiguons pas ce tsunami.”
Plan en trois étapes
Les mesures commerciales des Etats-Unis ont un impact sur 6,4 milliards d’euros de l’exportation européenne. ”Bien que l’Europe ait tout mis en œuvre pour éviter la situation actuelle, nous nous sommes aussi préparés ces derniers mois à réagir de manière appropriée à ces taxes à l’importation.” Les contre-mesures de la Commission européenne consistent en trois étapes:
1. Plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce
Lorsque les taxes à l’importation sont entrées en vigueur le 1er juin, la Commission européenne a déposé le même jour une plainte auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), car les taxes sont selon elle illégales et purement protectionnistes. L’OMC se pose en médiateur dans des conflits commerciaux internationaux et juge d’abord si la plainte est fondée. Cette procédure prend déjà vite un an. Par ailleurs, l’OMC n’est pas par définition contre les taxes à l’importation. Si la sécurité nationale d’un pays est en cause, les taxes sont en principe autorisées.
2. Mesures compensatoires
En réponse aux taxes à l’importation, l’Europe a introduit des taxes supplémentaires sur une liste de produits provenant des USA d’une valeur de 2,8 milliards d’euros. Le 20 juin, la Commission européenne a approuvé ces mesures pour rétablir l’équilibre. La liste englobe notamment des motos comme Harley- Davidson, le bourbon, le beurre d’arachide, la canneberge et le jus d’orange. ”Ces mesures respectent complètement les règles de l’OMC”, affirme Cecilia Malmström, commissaire au commerce de la Commission européenne. ”Si les USA suspendent leur taxe sur l’acier et l’aluminium, nous ferons pareil.” Le rétablissement de l’équilibre commercial restant d’une valeur de 3,6 milliards d’euros aura lieu à un stade ultérieur.
3. Mesures de sauvegarde
Afin d’éviter qu’une hausse soudaine de l’importation d’acier cause encore d’autres problèmes économiques pour les producteurs d’acier en Europe – souffrant déjà des surcapacités mondiales, la Commission européenne estime des mesures de sauvegarde temporaires nécessaires et légitimes. Le 26 mars, une étude a été entamée dans 28 catégories de produits. Pour 23 catégories de produits d’acier, il s’est avéré que l’importation avait augmenté ces quelques dernières années et qu’une nouvelle augmentation risquait de causer un préjudice à l’industrie de l’acier en Europe. Dans ces conditions, les règles de l’OMC autorisent l’introduction de mesures de sauvegarde. Les mesures provisoires sont entrées en vigueur le 19 juillet et peuvent le rester maximum 200 jours. Au cours de cette période, tous les intéressés peuvent faire des remarques et celles-ci seront prises en considération, lorsque la Commission européenne prendra début 2019 une décision définitive concernant des mesures de sauvegarde définitives.
”L’Europe n’est pas la cause des surcapacites, mais est touchee par ces mesures des USA. Ils ne nous laissent pas d’autre choix que de continuer avec nos contre-mesures”
Concrètement, une taxe à l’importation de 25% sera prélevée, une fois le niveau moyen d’importation des trois dernières années atteint. Ces 25%, calculés à l’aide du modèle d’équilibre partiel, et la période, trois ou cinq ans, ont déjà fait l’objet de longues discussions. D’après les règles de l’OMC, les mesures de sauvegarde doivent s’appliquer à toute l’importation, indépendamment de l’origine. Si l’importation de pays en voie de développement représente moins de 3% de l’importation totale, elle doit toutefois, sur la base des règles de l’OMC, être exonérée. C’est pour cette raison que le règlement contient également une liste de pays dispensés de ces mesures. Pour douze catégories de produits d’acier sur lesquelles les mesures de sauvegarde temporaires sont d’application, des droits antidumping et des droits compensatoires sont aussi en vigueur pour l’importation notamment de Chine, d’Ukraine et de Russie. Afin d’éviter les 'doubles mesures' quand le contingent tarifaire sera dépassé, la Commission envisagera de les suspendre ou de les abaisser, afin que l’effet combiné ne dépasse pas le niveau le plus élevé des mesures de sauvegarde ou des droits antidumping/antisubventions en vigueur.
ET MAINTENANT?
Après l’introduction par la Commission européenne de taxes à l’importation en guise de représailles face aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium, les USA ont déposé plusieurs plaintes auprès de l’OMC contre l’Europe, la Chine, le Canada, le Mexique et la Turquie. ”Au lieu de chercher avec nous une solution au problème, certains de nos partenaires commerciaux ont préféré des mesures de représailles contre les ouvriers, agriculteurs et entreprises américains”, a déclaré le chef de mission économique américain Robert Lighthizer à la mi-juillet. Il a qualifié les taxes de 'taxes de représailles'.Nous dirigeons-nous donc vers une guerre commerciale? Cela est possible. Même si Trump et Juncker se sont rencontrés le 25 juillet à la Maison Blanche pour tenter de dénouer les relations commerciales. Selon un des points de l’accord, les USA et l’UE veulent tendre vers des 'taxes douanières nulles', à l’exception du secteur automobile. Pour les taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium européens, introduites plus tôt cette année par Trump, une 'solution' sera trouvée.
Pareil pour les taxes à l’importation imposées en guise de représailles par l’UE sur différents produits américains. Les projets d’introduire de nouvelles taxes sont suspendus tant que les négociations entre l’Union européenne et les Etats-Unis sont en cours. Trump avait menacé d’introduire des taxes allant jusqu’à 20% sur les voitures européennes. Cela élèverait le conflit commercial à un niveau supérieur: l’Europe exporte chaque année pour plus de 50 milliards d’euros en voitures et pièces aux USA. Autre point de l’accord: l’UE importera plus de gaz naturel liquéfié (GNL) des USA. L’Europe est disposée aussi à importer plus de fèves de soja américaines. Par rapport aux normes auxquelles les produits médicaux doivent satisfaire aussi, l’Europe serait prête à mettre de l’eau dans son vin. Au moment de la rédaction de cet article, on ignorait encore concrètement ce que cette ‘solution’ aux taxes à l’importation sur l’acier et l’aluminium impliquait exactement ou quand elles disparaîtront.