"CONCEVOIR à partir de LA CRISE CLIMATIQUE"
BLAF Architecten REPENSE L'ENVELOPPE D'UN BÂTIMENT CLASSIQUE DANS UNE OPTIQUE DE CIRCULARITÉ
L'œuvre architecturale de BLAF Architecten secoue, stimule l'esprit, mais crée surtout une clarté sans précédent dans le débat actuel sur les méthodes de construction. L'architecture du bureau d'études est une quête, un voyage qui ne s'arrête jamais et qui tient compte de la crise climatique. Rencontre avec deux architectes engagés: Bart Vanden Driessche et Lieven Nijs.
"Nous ne calculons tout simplement pas les ponts thermiques. C'est une perte de temps"
un cabinet de recherche (et d'investigation)
C'est dans une petite rue de Lokeren que l'on trouve l'enseigne de BLAF Architecten, accrochée à une façade comme s'il s'agissait d'une animalerie. Cette tête de chien sur fond bleu attire le regard. Elle dégage quelque chose de costaud tout en étant un brin décalée. Une enseigne qui annonce la couleur, en tout cas.
Comment votre bureau est-il perçu par le monde extérieur?
Bart Vanden Driessche: "Notre bureau est désormais bien connu dans le monde de l'architecture. Et il y a plusieurs raisons à cela. BLAF est parfois décrit comme un cabinet de recherche et d'investigation, et nous sommes tout à fait satisfaits de cette description. Nous sommes partis d'une production à petite échelle et nous avons développé nos connaissances en partant de la base. Et nous avons créé nos cas nous-mêmes. Ce que je veux dire par là, c'est que de nombreux architectes attendent un client ambitieux ou visent eux-mêmes des missions importantes. Je crois que dans chaque mission et chaque client, il y a quelque chose que l'on peut faire remonter à la surface. Nous essayons toujours d'y travailler dans les limites des budgets et des honoraires. C'est pourquoi je pense que les gens nous considèrent toujours comme un cabinet accessible et engagé."
Le cabinet d'architecture flamand a-t-il changé?
Lieven Nijs: "Je pense que la profession d'architecte a fondamentalement changé au cours des 20 dernières années. Lorsque nous avons obtenu notre diplôme, le cabinet en solo était encore très courant, celui de l'architecte-auteur. Ce n'est plus concevable aujourd'hui. Non seulement la construction proprement dite est devenue beaucoup plus complexe, mais en plus, les processus et l'administration qui l'entourent le sont tout autant. La discipline se développe encore en largeur, en raison des interfaces avec de nombreux défis sociaux et d'autres disciplines. Chaque réalisation est désormais le fruit du travail, de la créativité et des connaissances de nombreuses personnes. C'est donc un défi de continuer à explorer l'architecture en profondeur."
Votre architecture est étonnamment différente du minimalisme flamand tant renommé.
Bart Vanden Driessche: "Si le minimalisme signifie aujourd'hui réduire notre impact, alors le terme est peut-être pertinent. Mais pas si l'on veut parler du minimalisme des années nonante, lorsque nous avons été formés. A l'époque, les premiers annuaires d'architecture étaient encore remplis de grandes villas blanches dans lesquelles on ne lésinait pas sur les moyens pour dissimuler certaines choses. Chez BLAF, les projets sortent du mode classique du minimalisme où la forme est imposée au matériau. Ils sont le résultat du côté 'investigation' de notre bureau, où nous essayons de comprendre et de suivre les matériaux."
interprétation de la durabilité
BLAF travaille à partir de la crise climatique ...
Lieven Nijs: "D'une manière générale, nous n'avons pas peur du mot 'durabilité'. Il est vrai que le greenwashing est très répandu, mais cela ne doit pas nous empêcher, en tant qu'architectes, de donner au mot notre propre interprétation. De nombreux architectes vous diront que la durabilité n'est pas une question de panneaux solaires, d'isolation ou de façades vertes. Les aspects techniques ou constructifs de la durabilité sont des choses que l'on glisse quelque part dans un mémo pour ensuite expliquer le projet. Lorsqu'il s'agissait des performances énergétiques, cela ressemblait à une question plutôt abstraite et mathématique: un niveau E et un soi-disant optimum économique pour pouvoir répondre aux ambitions avec la retenue nécessaire. Nous nous sommes souvent demandé si nous ne devrions pas inverser les choses: et si nous partions du principe que nous voulons construire le mieux possible, pour ensuite nous demander comment mettre cela en pratique, et pourquoi les choses sont soi-disant impayables? La construction passive a beaucoup compté dans notre vision à cet égard. La construction circulaire semble désormais beaucoup plus difficile pour de nombreux architectes, car le lien avec le projet semble plus court: comment construire? Avec quels matériaux? Quelle est l'épaisseur des murs de la façade? Ce projet est-il facile à réaliser? Quel est le prix de revient?"
Bart Vanden Driessche: "Pour BLAF, un bon design est un design qui réunit toutes les conditions préalables. Nous parlons depuis longtemps d'une crise climatique, mais aujourd'hui, il est douloureusement clair que toutes les autres crises sont liées à ce climat. La construction nécessite des matières premières et de l'énergie en grande quantité. Nous pouvons constater que nombre de nos projets ont été conçus pour la situation de crise que nous connaissons aujourd'hui."
Le logement comme défi social
Bart Vanden Driessche: "Nous nous concentrons principalement sur le logement car c'est là que nous nous sommes développés. C'est un thème inépuisable et pertinent, et la clientèle est très diversifiée. Par conséquent, nous n'avons développé notre intérêt pour d'autres programmes sociaux que plus tard." Lieven Nijs: "Le logement reste un défi social. La demande de logements abordables est sans précédent. Nous essayons de trouver comment nous, en tant que concepteurs, nous pouvons faire la différence à cet égard, et nous constatons que c'est très difficile dans les limites actuelles de la politique et du marché. En même temps, il y a autre chose qui nous inquiète beaucoup: l'accessibilité financière (en réalité, il s'agit souvent du 'rendement') est encore trop souvent utilisée comme prétexte pour ne prendre aucune mesure en termes de durabilité ou de construction circulaire, et pour continuer à construire de la manière que nous connaissons: avec des matériaux toxiques et non réutilisables, beaucoup de béton armé, trop peu d'isolation, etc. Tant que nous ne commencerons pas à regarder différemment ce que les matières premières et les bâtiments nous coûtent en tant que société au cours de leur durée de vie, nous ne pourrons pas inverser ces réflexes économiques, et nous ne construirons pas un parc immobilier durable."
"Le mur creux avec beaucoup d'isolation n'est plus tenable en tant que système de construction"
Maçonnerie durable
Votre ingénierie de façade est très particulière...
Lieven Nijs: "Je pense que nous faisons principalement de la conception et non de l'ingénierie. Nous essayons de nous plonger dans les matériaux, la construction, la façon dont les entrepreneurs travaillent, la façon dont les fabricants de matériaux travaillent, et nous essayons de comprendre comment tout cela peut correspondre au visuel recherché par les concepteurs. Si l'on rassemble toutes ces informations, on constate que la construction circulaire est en partie liée à cela. Par exemple, la brique est tellement gourmande en CO2 que, selon certains, nous devrions la rendre plus fine. Mais les propriétés de base des briques sont importantes pour la durabilité de la maçonnerie. Si l'on porte atteinte aux propriétés de base du matériau, on risque d'avoir un problème plus important que la présence d'énergie dans cette brique."
Bart Vanden Driessche: "Dans le monde de la brique, trois idées circulent en rapport avec la circularité: 1, nous arrivons à une nouveau type de production de brique (pierre limoneuse); 2, nous allons assembler tout ça; 3, nous allons rendre la brique de façade plus fine pour utiliser moins de matériau. Ce que les fabricants ne disent pas, c'est qu'il faut beaucoup plus d'acier pour soutenir ce mur. L'acier est moins bon que la brique. Voilà les liens que nous établissons. Nous disons qu'il suffit de faire un seul mur comme nous le faisions avant, sans cavité. Regardez, un mur creux est ventilé. C'est un mur qui ne travaille pas et qui n'isole pas. Dans nos récents projets à petite échelle, nous faisons travailler ce mur en ne créant pas de cavités. Nous utilisons une brique perforée spécialement conçue. Il y a moins de brique qu'avec une brique de façade mince et une brique de construction rapide réunies. Nous ne combinons pas ça avec de l'acier. Le mur tient debout tout seul, de même que la construction en bois légère à l'intérieur. Entre les deux, nous versons de la chaux-chanvre, un matériau biosourcé parfaitement adapté à l'isolation."
MAISON PASSIVE DÉMONTABLE
Bart Vanden Driessche: "Cette maison passive (lbSN) est une maison que nous avons récemment construite, et peu après, elle a été expropriée de manière totalement inattendue! Nous cherchons maintenant à savoir comment la démonter au maximum et réaliser un nouveau projet avec les mêmes matériaux. Nous pouvons ainsi prouver que nos maisons passives récemment construites peuvent être démontées et réutilisées. Aujourd'hui, plus que jamais, il s'agit de limiter les matières premières et l'énergie nécessaires à la fabrication de nouveaux matériaux de construction, mais aussi de réutiliser le plus de matériaux possible. En attendant, nous cherchons de nouvelles façons de construire avec les mêmes matériaux. Avant tout, nous n'essayons pas de construire de la même manière encore et encore, mais de trouver comment nous pouvons construire mieux. Nous ne nous concentrons pas non plus sur un seul matériau ou une seule méthode, mais sur une combinaison des deux. Nous nous efforçons de construire de manière hybride avec des matériaux recyclés ou biosourcés, le bois et les briques étant des produits purs, et nous essayons d'exclure le béton et l'acier ou du moins de les limiter autant que possible. Si le bois est plus cher ou plus rare, nous construisons plus solidement. Si la brique est plus chère ou rare, nous adoptons une approche différente. Presque chaque projet est construit différemment, avec une composition différente des murs et des façades. Je pense que c'est inédit. Ce n'est certainement pas la voie la plus facile et il est compréhensible que tous les architectes ne la choisissent pas, mais pour nous, c'est la seule voie possible."
Un projet à petit budget
Bart Vanden Driessche: "Lorsque j'ai obtenu mon diplôme, la première chose à avoir était une voiture. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Notre mobilité doit changer. Heureusement, les choses évoluent de manière très positive. Par exemple, nous croyons depuis longtemps que notre façon de construire peut aussi être différente, et nous avons rapidement appris à agir de manière circulaire. Dans ce projet à Lokeren, il y a 15 ans, nous n'avons utilisé que des matériaux recyclés. Les planches et les plaques de plâtre avaient déjà servi, les pierres naturelles ont été récupérées, les meubles ont été réutilisés afin que chaque chaise soit différente. Le client disposait de 30.000 euros et a demandé une rénovation. Un défi, sans aucun doute, avec comme résultat cette simple structure auto-construite. Notre pensée et notre action circulaires étaient déjà gravées en nous. Nous avons été fiers de trouver une solution basée sur notre engagement. On voit encore les traces de l'utilisation précédente. C'était déconseillé, tout devait être minimaliste. Nous avons appris à montrer un matériau de construction, nous avons appris à omettre les finitions pour que la construction reste apparente, nous avons essayé de laisser les fixations apparentes pour que les matériaux récupérés puissent être réutilisés. Nous étions souvent motivés par l'accessibilité financière, notre engagement à construire des structures durables en respectant le budget. L'art de laisser tomber certaines choses et de ne pas les cacher. Aucun plafond n'est moins cher qu'un faux plafond. Nous avons donc construit avec du verre en sections fixes, car cela revenait aussi cher que les parois opaques composites. Le triple vitrage est durable et ne coûte pas cher s'il est appliqué logiquement. Un vitrage coulissant est plus cher qu'un vitrage pivotant. Un vitrage qui s'ouvre est plus cher qu'un vitrage fixe. Ce sont les bonnes connotations."
Enveloppe de bâtiment alternative pour la construction à ossature en bois
Bart Vanden Driessche: "Il y a une quinzaine d'années, nous avons construit nos premières maisons neuves dans une ossature en bois totalement exempte de formaldéhyde. C'était aussi la première fois que nous utilisions la ventilation mécanique. Je me souviens être entré et avoir ressenti une qualité d'air différente de celle à laquelle j'étais habitué. En fait, nous construisions déjà selon les principes du passif alors que nous ne savions même pas ce que signifiait le passif. Idem avec la construction circulaire, qui est en fait un terme collectif pour des éléments que l'on retrouve de manière évidente dans notre travail: polyvalence, écologie, réutilisation, convertibilité, réversibilité... Ce furent les précurseurs de nos premières maisons passives expérimentales qui ont suivi, où nous avons principalement cherché des alternatives pour l'enveloppe du bâtiment. Cela a conduit à plusieurs innovations, comme l'utilisation d'ardoises avec une alternative au motif en losange. En collaboration avec Eternit, nous avons appliqué notre idée pour la première fois dans la maison tlSN à Sint-Niklaas, après quoi Eternit l'a commercialisée sous la forme d'un motif en damier. Là encore, en partant d'une recherche en matière de faisabilité, car les ardoises coûtaient 35 euros par m2, sans compter la pierre."
pas de ponts thermiques
Bart Vanden Driessche: "Après diverses expériences passives avec des finitions murales alternatives, il est devenu évident que la brique perdait du terrain en tant que finition murale dans la construction passive. Le mur creux avec beaucoup d'isolation n'est plus tenable en tant que système de construction. C'est pourquoi nous avons mis au point une coque extérieure hybride alternative qui permet une construction réversible. Nous construisons d'abord un mur extérieur, puis une ossature légère en bois, ou vice versa. De cette manière, on peut démolir la coque extérieure ou la coque intérieure, car elles sont toutes deux autonomes. Nous ne calculons tout simplement pas les ponts thermiques. C'est une perte de temps. Il n'y a donc aucune connexion entre l'intérieur et l'extérieur. Pour cela, nous avions besoin d'un mur extérieur porteur dont on pouvait déconnecter la façade extérieure de l'intérieur. Avec la maison dnA à Asse, nous avons ainsi construit notre première expérimentation, d'abord le mur, puis le toit et ensuite l'intérieur. On peut aussi procéder dans l'autre sens, comme avec la maison triangulaire wsT à Ternat ou ma propre maison à Lokeren. D'abord la charpente en bois, puis un mur en guise de bardage. Nous n'inventons rien, nous investiguons afin d'établir d'autres liens."
Structures organiques avec de la massivité
Bart Vanden Driessche: "La maison fmM à Malines constitue une véritable expérience Per Kirkeby, notamment grâce aux structures organiques qui ont été beaucoup réfléchies. Ce n'est pas par hasard si les fleurs restent toutes droites dans le vent: elles ont une structure. Ce projet réunit la nature, l'art et l'architecture. Il y a quatre volumes – deux ronds et deux droits – qui assurent leur maintien en position verticale. Ils portent l'ensemble de la construction, non pas comme un mur en soi, mais comme un volume. On peut comparer ça aux quatre pieds d'une table. Notre climat change, donc notre façon de construire change aussi. Nous avons commencé avec la connaissance relative aux gains solaires passifs orientés au sud et à l'inertie thermique à l'intérieur. Mais entre-temps, il est apparu clairement que l'inertie thermique n'est pas seulement intéressante à l'intérieur, mais surtout à l'extérieur, et que l'orientation au sud entraîne trop de surchauffe. La massivité a son importance sur plusieurs fronts, à l'intérieur comme à l'extérieur."
BLAF Big Brick
Bart Vanden Driessche: "Nos premiers bâtiments en briques étaient faits de briques récupérées. Pourquoi utiliser de nouvelles briques quand les anciennes sont meilleures que toutes les nouvelles? Pourtant, nous cherchions des alternatives abordables et nous ne les avons pas trouvées dans la gamme existante. En collaboration avec deux fabricants de briques (Wienerberger et Ploegsteert), nous avons développé une nouvelle brique de parement qui intègre les propriétés de la construction 'rapide'. Avec deux versions de briques entre-temps, nous avons construit plusieurs projets, aussi bien des projets de logements privés que collectifs. En construisant des expériences à petite échelle, nous parvenons à convaincre des promoteurs dans l'intervalle. Nous constatons que l'innovation peut avoir un impact sur l'économie circulaire et qu'il n'y a pas que nos projets BLAF qui seront construits avec elle à l'avenir."
