“LA TAILLE DE L'ECHELLE EST IMPORTANTE, MAIS N'OUBLIEZ PAS LA DIVERSITE"
DANIEL VAN CAUTEREN (CEO MENOUQUIN) PARLE DES CHANGEMENTS DANS LE PAYSAGE RETAIL
Internationalisation, flou, mentalité changeante: le commerce de détail destiné aux bricoleurs et aux professionnels subit de grosses modifications. La taille de l'échelle est indispensable pour survivre. Toutefois, Daniel Van Cauteren (CEO de Menouquin) souligne l'importance de la diversité. “Il y a déjà tellement d'uniformisation. La force de nos magasins réside justement dans leur diversité. En étant proches des clients et du marché, nos membres peuvent réagir rapidement aux changements sociaux. Je crois beaucoup plus à un profil bien défini qu'à des magasins qui font un peu de tout."
UNE EFFICACITE SANS UNIFORMISATION
Il y a deux ans (Dobbit Professional 1704), vous souligniez l'importance du visage des membres Menouquin. Mais le monde actuel impose de plus en plus l'efficacité, avec des acteurs en ligne d'une immense envergure. L'individualité reste-elle tenable?
Daniel Van Cauteren: “Pour moi, il reste crucial que nos magasins se consacrent avant tout à leur propre clientèle. Nous ne voulons pas faire de l'uniformisation - il y en a déjà suffisamment. Il y a une grande diversité dans nos magasins et c'est justement leur force: ils connaissent bien leur clientèle et ils parviennent donc à la servir parfaitement."
“Ceci étant dit: quelle doit être la largeur de votre autoroute? Efficacité, avantage de volume, synergies avec les fournisseurs: tout cela est nécessaire pour rester compétitif. Nous devons donc chercher le juste milieu entre les besoins de la clientèle locale et l'efficacité. Parfois, il faut faire des compromis. Mais je pense que l'on peut rationaliser beaucoup de choses dans des domaines qui ne sont pas visibles pour le client. Administration, chaîne d'approvisionnement, datas, formations pour le personnel: tout cela booste l'efficacité sans nuire à la spécificité du magasin. A côté de ça, il y a beaucoup de 'soft material' pour faire converger les esprits dans la même direction: des gens qui échangent des idées en se réunissant. Tenir un magasin est un travail relativement solitaire. Bien sûr, les gens ne sont pas seuls, mais ils sont isolés dans le cocon de leur business. Ce n'est pas toujours évident: nous avons des membres dans tout le pays. En général, les gens d'une même région se connaissent, car ils échangent des marchandises ou ont les mêmes clients. Mais il se peut qu'il y ait le même profil de magasin à l'autre bout du pays. Et ça, c'est intéressant pour eux. Notre objectif est de réunir les gens souvent."
Quelles sont les principales évolutions chez Menouquin?
Van Cauteren: “Il y a beaucoup de choses qui changent au niveau de nos membres: beaucoup font du bon travail et continuent à investir dans l'ouverture de nouvelles filiales, de nouveaux concepts, de nouvelles familles de produits, l'informatique. Pour ce qui est de la centrale, nous nous sommes beaucoup concentrés sur la chaîne d'approvisionnement ces dernières années. C'est pénible, car il y a différents systèmes ERP dans différents magasins, mais nous avons quand même réussi à rationaliser un peu les choses.
Nous planchons actuellement sur la facturation EDI: la digitalisation de tout le processus administratif. C'est très important pour moi. De même que le fait d'intensifier la collaboration avec Hagebau. Nous avons commencé ça l'an dernier, mais nous allons plus loin aujourd'hui, avec davantage de fournisseurs qui y collaborent.
Nous avons aussi développé plus de concepts pour les magasins. Toujours dans cet esprit de 'faire converger les esprits'. Les concepts qui sont bons, impliquant une bonne collaboration avec le fournisseur, sont suivis par de plus en plus de nos magasins. Ils apportent souvent des suggestions, qui sont alors implémentées à plus grande échelle. Nous n'obligeons jamais rien, mais nous voyons que le magasin embraie, étant donné la qualité du concept. Enfin, nous mettons de plus en plus l'accent sur nos propres marques. Nous avons embauché des gens supplémentaires pour optimiser la qualité et l'offre de ces marques propres."
Cela semble être une tendance générale: les gros acteurs du DIY le font depuis longtemps.
Van Cauteren: “Oui, et on le voit de plus en plus dans le monde professionnel. C'est logique. En effet, je remarque que beaucoup de marques ne se consacrent plus exclusivement au retail. Autrefois, il y avait quelques marques qui se spécialisaient dans le commerce professionnel. Il en reste quelques-unes, mais de moins en moins. Cela signifie que cette relation privilégiée entre le fabricant et le détaillant se perd. Les marques vendent très largement. Il me semble donc logique qu'à un certain moment, le commerce ne s'engage plus exclusivement avec quelques marques de renom. Peut-être devrions-nous essayer de créer un lien privilégié avec nos propres marques. Je pense que c'est une évolution logique du commerce."
Peut-on se passer des marques, à terme?
Van Cauteren (réfléchit): “C'est possible. J'ai vu aux USA une chaîne qui ne vend que ses propres marques et qui possède environ 2.000 magasins. Ils rencontrent un franc succès et échappent ainsi à la différence de prix par rapport à Internet. Mais je pense que beaucoup d'utilisateurs finaux continueront à opter pour une marque connue. Il y a de nombreuses marques avec une image très forte et je pense qu'elles continueront à séduire les clients. A mon avis, les deux peuvent coexister. Dans un monde idéal, les producteurs contribueront au développement et à la production de marques propres, mais hélas, ce n'est pas toujours possible. Ça aussi, ça a changé. Quand je travaillais dans l'alimentaire, il y avait plein de marques propres. On ne pouvait pas en parler. X années plus tard, les marques propres sont devenues une part très importante de l'activité."
Y a-t-il des catégories de produits où cela joue plus que dans d'autres?
Van Cauteren: “Je pense que la marque joue toujours beaucoup pour les power tools. C'est peut-être moins le cas pour les consommables: papier d'émeri, etc. Il y a aussi des secteurs où les fabricants ne sont pas parvenus à développer une image de marque forte. Les bottes, par exemple. Même si nous avons élaboré un solide concept à cet égard avec un acteur belge qui marche très bien, tant parmi les magasins qu'auprès de la clientèle."
Y a-t-il des projets pour une plate-forme d'e-commerce chez Menouquin?
Van Cauteren: “Nous avons eu un webshop, mais il se limitait aux produits que nous gardions nous-mêmes en stock. L'offre était donc très limitée. Proposer une large gamme est très difficile pour nous sur le plan logistique. Beaucoup de fournisseurs ne sont pas prêts à faire du dropshipment. Nous préférons offrir les outils nécessaires aux membres. Nous fournissons le format et les données. Ainsi, chaque magasin peut faire pareil en fonction de son propre stock et de ses prix. Les prix ne sont pas forcément les mêmes partout chez nous (rires). Là aussi, nous essayons de simplifier les choses pour le magasin afin qu'il puisse élaborer un webshop sur mesure. Nous devons chérir cette diversité."
BLURRING
Le salon DIY, Pro & Garden vient de se terminer, avec un élargissement vers le segment professionnel. Il y a deux ans, vous étiez convaincu que le DIY et le commerce professionnel devaient rester des canaux bien distincts. Est-ce toujours le cas?
Van Cauteren: “Tout le monde parle de 'blurring'. C'est surtout le canal DIY qui veut attirer des clients professionnels. C'était déjà le cas il y a trente ans. Cela continue aujourd'hui, avec un succès mitigé. Je crois beaucoup plus à la spécialisation, avec un profil bien défini et la création d'une valeur ajoutée. La vente à des professionnels dans le DIY ne marche pas très bien, sauf en dépannage. Si un professionnel est en train de travailler sur un chantier, il n'ira pas chez son fournisseur fixe. Mais de là à en faire l'activité principale dans le secteur du DIY … Il manque beaucoup d'éléments pour faire de ce magasin de bricolage un magasin pour le professionnel: service, connaissance professionnelle, assortiment, stock. Les chaînes sont motivées par autre chose que le stock. Beaucoup de nos magasins préfèrent investir dans le stock plutôt que de laisser leur argent à la banque. Est-ce justifié ou non? On peut en discuter, mais en tout cas, les professionnels apprécient énormément. Ajoutez un petit mot d'explication et cela fait de puissants arguments en faveur du commerce professionnel. Sans parler du crédit qu'il accorde. Cela reste de gros atouts que le DIY n'offre pas."
CROISSANCE
Pendant des années, le secteur du DIY a continué à se développer grâce à l'ouverture de nouvelles filiales. Maintenant, c'est terminé. Comment voyez-vous évoluer la densité de magasins en Belgique?
Van Cauteren: “Il y a déjà beaucoup de magasins en Belgique. A un moment, c'est trop. Et on ne peut pas arrêter le phénomène. Il y aura toujours des gens qui voudront ouvrir un magasin. Mais je pense que le paysage est déjà suffisamment rempli. En outre, beaucoup de magasins cherchent une nouvelle activité. Beaucoup arrivent dans des domaines qui étaient autrefois réservés aux spécialistes. De nos jours, on trouve des fleurs dans les stations-services, dans chaque supermarché. Le fleuriste perd donc une partie de son business. Il en va de même dans notre branche."
Dans quels assortiments voyez-vous encore de la croissance?
Van Cauteren: “Nous les cherchons encore. Cela donne parfois des situations étranges, où l'on trouve des vélos et des ordinateurs dans le DIY. Ce sont parfois des tentatives désespérées de générer plus de chiffre d'affaires. Je pense que la branche du jardin a encore un gros potentiel de croissance. Beaucoup de gens embellissent leur jardin et rendent leur maison plus agréable. Ils sont plus nombreux que ceux qui installent des WC. Je crois beaucoup au soft DIY."
J'ai l'impression que les pays voisins sont beaucoup plus 'soft' que la Belgique. A Dublin (Dobbit Professional 1906), il y des établissements qui vendent des articles de fête et des articles de cuisine. Est-ce vers ça que nous devons aller?
Van Cauteren: “Ici, les superficies sont plus petites. Nous avons donc moins de place pour ajouter des choses. On note quelques tentatives ça et là, des gens qui se mettent à vendre des bougies, mais l'aspect agréable de la maison et le plaisir l'emportent sur le dur labeur. Je pense que les jeunes sont moins enthousiasmés par ça que par un beau jardin, une maison agréable, des voyages. Ils visent plus l'expérience. Regardez le marché immobilier: on vend de plus en plus d'appartements, qui nécessitent beaucoup moins de bricolage. Les gens veulent bien poser un nouveau sol, remplacer un robinet, … mais pour le reste? Le Belge reste un gros bricoleur, comparé à ce qui se fait à l'étranger, mais chez nous aussi, le bricolage diminue."
LE PROBLEME DE CONNAISSANCE
J'entends parfois que le manque de connaissance attribué aux jeunes est exagéré. Apparemment, les clients d'il y a quarante ans ne s'y connaissaient pas plus en bricolage que les jeunes d'aujourd'hui. Doivent-ils juste continuer à apprendre?
Van Cauteren: “Je trouve qu'il y a une différence au niveau des préférences des jeunes. Il y a quarante ans, les gens voyageaient moins. Aujourd'hui, les jeunes ont vu la moitié du monde à trente ans. Quand bricoleraient-ils? Ils préfèrent partir en voyage."
Beaucoup d'acteurs essaient de répondre au problème de connaissance. La chaîne irlandaise Woodie's utilise la réalité virtuelle. Hubo collabore avec ListMinut, OBI a lancé une appli. Voyez-vous d'autres possibilités?
Van Cauteren: “Ce sont des tentatives honorables, mais je trouve que ça ne sert pas à grand-chose. Quand j'étais dans l'alimentaire, nous avons remarqué que le Belge mange beaucoup moins de riz que les pays voisins. Notre mission était de lui en faire manger plus. On y a consacré énormément d'argent et aujourd'hui, nous mangeons la même quantité de riz qu'avant. Je ne crois pas à ce genre de travail de missionnaire. C'est bien de s'en occuper, mais ça reste de la microchirurgie. Cela n'entraînera pas de changement radical. Quand on donne des formations, on touche des personnes déjà motivées. On peut proposer de nouveaux produits ou de nouvelles méthodes de travail, mais on ne convaincra pas la majorité de bricoler en masse. Il s'agit d'une tendance sociale. Les jeunes étudient plus longtemps qu'avant. Cela leur donne un regard différent sur le monde. Ils sont plus ouverts à d'autres cultures et d'autres expériences, mais ils s'intéresseront moins à leur propre habitation. Tout le monde aura besoin d'un tube de colle ou devra peindre un mur, mais ça n'ira pas beaucoup plus loin. Il faut de la connaissance, de l'expérience, du temps, … et l'envie. Si les jeunes peuvent se le permettre financièrement, ils feront faire leurs travaux. C'est une bonne nouvelle pour nos membres ayant une orientation plus professionnelle, mais selon moi, le secteur du bricolage évolue inévitablement vers le jardinage et la décoration."
INTERNATIONALISATION
Une étude de Comeos a récemment révélé que 9 milliards d'euros filent à l'étranger, la majeure partie via l'e-commerce.
Van Cauteren: “Internet ne connaît pas de limites et on ne peut pas l'arrêter. Il faut essayer de faire en sorte que les clients viennent chez vous au lieu d'aller sur Internet. Il est important que les autorités veillent à ce que le combat soit mené à armes égales. Si un acteur Internet ne doit pas payer les mêmes impôts qu'un acteur belge, c'est de la concurrence déloyale. C'est une tâche pour Comeos. Mais à nouveau, les gens s'orientent de plus en plus vers l'international. Peu de gens se préoccupent de savoir si ce qu'ils achètent, vient de Belgique. Les goûts locaux interviennent encore pour les ferrures et la décoration, par exemple, mais pour une perceuse, il n'y a aucune différence. Jouez sur vos propres forces et essayez de ne pas vous fermer. Au contraire, la collaboration peut aider à devenir plus fort. Ainsi, nous collaborons avec un grand acteur de la location. Certains de nos membres le faisaient déjà, mais c'était à plus petite échelle et donc moins efficace. En outre, nous partageons notre savoir-faire avec des coopératives du monde entier. C'est indispensable. Nous sommes un acteur relativement petit dans un petit pays: nous ne pesons pas lourd par rapport aux fournisseurs. Nous gardons donc l'esprit ouvert et nous tendons la main à divers partenaires potentiels. Tout est possible si chacun peut en profiter. Etant une coopérative, nous n'avons pas le même modèle commercial qu'une SA. Mais nous avons un instrument: c'est les magasins, qui sont aussi capables d'apporter des choses à l'utilisateur final."
Etes-vous inquiet de l'émergence de la Chine?
Van Cauteren: “La Chine est évidemment une énorme puissance, ne fut-ce que par sa taille. C'est un rouleau compresseur. D'un autre côté, elle a toujours été le pays à qui on s'adressait quand on voulait quelque chose de pas cher. C'est de moins en moins le cas. De plus, nous ne jouons pas sur ce marché-là. Bien sûr, nous devons être compétitifs, mais nous voulons miser sur d'autres éléments que le prix. Nous achetons aussi en Chine, comme tout le monde, mais je trouve que la vitesse reste un problème. Ce ne sont pas les fournisseurs les plus rapides. Je pense que les Chinois sont très opportunistes. Si vous commandez quelque chose et que j'arrive ensuite pour commander cinq fois plus, ils me serviront en premier. Et puis, il y a tout le processus logistique: la Chine est très loin et ce problème n'est toujours pas résolu. Il y a maintenant une liaison en train, mais cela coûte plus cher. Malgré tout, la communication reste difficile. Les Chinois qui parlent très bien anglais, sont rares. Au niveau de la rapidité et de la flexibilité, ce n'est certainement pas la solution idéale. Il y a peut-être d'autres pays un peu plus chers, mais plus proches. Ils peuvent offrir plus de rapidité et plus de flexibilité. La rapidité devient de plus en plus importante et je me demande si la Chine est la solution. Elle est loin, c'est une grosse machine. Nous, nous sommes un marché assez petit, avec des achats en petite quantité. Nous ne pourrons jamais acheter autant qu'une entreprise allemande. Et le prix n'est pas l'argument principal pour nous. Je crois plus à certains pays d'Europe de l'Est, à la Turquie, à l'Afrique du Nord, … Ils sont plus proches et la communication est plus facile. On peut monter dans un avion le matin, aller visiter une usine et être de retour le soir. Si une usine chinoise est à 6 heures de route de Shanghai, cela fait un fameux trajet. Sans parler des discussions à propos du service après-vente, du service, … Tout ça est difficile. L'internationalisation est une chose, mais je pense que les différences restent énormes.“