“LES ARCHITECTES DOIVENT SE LIGUER ET REFUSER DES HONORAIRES TROP BAS”
L’ORDE VAN ARCHITECTEN ORGANISE LA JOURNEE D’INSPIRATION ‘DE ARCHITECT IN (R)EVOLUTIE’
L’Orde van Architecten – Vlaamse Raad estime que le temps de l’action, de la réaction et de la reconnaissance est venu. Le métier d’architecte subit en effet une pression tous azimuts. Pour appuyer ce message, il a organisé le 24 avril la journée d’inspiration ‘De architect in (r)evolutie’. Avec environ 200 architectes, politiciens, promoteurs immobiliers et académiciens, trois débats se sont penchés sur l’avenir de la profession.
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Les Pays-Bas face a la flandre
L’orateur invité Xander Vermeulen Windsant (XVW Architectuur), gagnant hollandais de l’EU Mies Award 2017 (projet Kleiburg à Amsterdam pour lequel un immeuble à appartements voué à la démolition a été transformé en étroite concertation avec les occupants en maisons casco), a comparé la situation hollandaise avec celle de la Flandre: “Le titre du congrès s’applique aussi aux Pays-Bas. Nous avons affaire à différentes réalités mais aux mêmes défis. Il règne aux Pays-Bas un contexte parfaitement organisé autour de la conception, ce qui se traduit notamment dans l’architecture de façade connue. Dans ce manque de marge de manœuvre, les architectes cherchent leur propre travail. Ceci contrairement à la ‘Flandre exotique’, où la liberté conceptuelle est énorme. Ceci s’exprime par une architecture libre, réfléchie, très précise, qui est en mesure de livrer une énorme richesse.”
Marnik Dehaen (président de l’Orde van Architecten): “Le temps de l’action, de la réaction et de la reconnaissance est venu. J’attends de ce congrès des signaux forts” (Photo: Isabelle Pateer)
La situation économique dans le secteur n’est pas rose aux Pays-Bas. Xander Vermeulen Windsant: “Depuis la crise, nombreux sont ceux qui ont quitté le métier et le chiffre d’affaires a baissé. Il existe aussi de nombreux petits bureaux. Le titre d’architecte est légalement protégé mais l’organisation sectorielle n’a pas de mandat légal. L’architecte est à peine responsable de la qualité technique du concept. Notre position formelle est faible, mais nous nous situons bel et bien dans un solide contexte de travail. Je considère plutôt l’architecte aux Pays-Bas comme un acteur habile et en Belgique comme un professionnel énergique. Nous devons nous poser la question de savoir ce que nous voulons atteindre avec l’architecture? Pour qui concevons-nous notre cadre de vie? Où ajoutons-nous de la valeur? Nous devons évoluer d’une ville étendue, unique, confortable vers une ville soudée, mixte et durable.”
Xander Vermeulen Windsant (XVW Architectuur): “Je vois l’architecte aux Pays-Bas plutôt comme un acteur habile et en Belgique comme un professionnel énergique” (Photo: Isabelle Pateer)
Travailleur social ou mercenaire?
L’architecte a-t-il vraiment une tâche sociale ou est-il au service du plus offrant? Dans le premier débat, le bouwmeester bruxellois Kristiaan Borret, Xander Vermeulen Windsant, Lorenzo Van Tornhaut (ingénieur-architecte et design manager Volus) et le parlementaire flamand (CD&V) Lode Ceyssens ont abordé le thème ‘travailleur social ou mercenaire?’ (Voir encadré avec les résultats des sondages auprès du public, qui constituaient la base des débats).
Kristiaan Borret a adressé un appel aux architectes pour être davantage activistes et solidaires. Ils devraient pouvoir refuser certaines missions qui sont contraires à la mobilité durable. D’après lui, ceci se produit trop peu à l’heure actuelle, si bien que des architectes sont mis en concurrence: “Des honoraires plus élevés sont une solution. Ne soumissionnez pas pour des adjudications avec des honoraires trop bas. Le jour où les architectes sont solidaires et ne soumissionnent pas, le problème est résolu.” La question s’est aussi posée de savoir si ceci ne revêt pas un caractère exemplaire pour les pouvoirs publics?
Lorenzo Van Tornhaut a confirmé que l‘accroissement d’échelle des missions exige que les architectes s’unissent. Xander Vermeulen Windsant a relevé la situation hollandaise, qui n’impose aucune obligation légale à l’architecte de remplir un rôle social. On mentionne une interprétation individuelle.
Lode Ceyssens s’est dit surpris par le résultat du sondage, dont il ressort que 60% des architectes qualifient leur rôle social de limité: “Les architectes se sous-estiment quelque peu. Dans ma commune, les architectes apportent bel et bien une touche sociale. L’architecte est le go between capable de proposer des solutions basées sur ses connaissances.”Il a encore relevé que les meilleurs entrepreneurs/architectes sont ceux qui privilégient la qualité dès le début. Kristiaan Borret a confirmé: “Un véritable entrepreneur anticipe d’ores et déjà les futurs développements et réfléchit à long terme. Il veut déjà se recycler en matière de construction circulaire, par exemple.”
Le bouwmeester bruxellois Kristiaan Borret: “Les architectes doivent être plus activistes et solidaires. Le jour où ils sont solidaires et ne soumissionnent pas aux adjudications avec des honoraires trop bas, le problème est résolu” (Photo: Isabelle Pateer)
Concepteur et/ou executant?
Koen Baeyens (Graux & Baeyens architecten), Dominique Van Cauwenberghe (architect-expert Arch_ID, affilié auprès des Architecten-Bouwers), Kristof Uytterhoeven (avocat Caluwaerts Uytterhoeven, Legal Office CVBA), Lode Waes (CEO CAAAP) et Marc Dillen (directeur général de la Vlaamse Confederatie Bouw) ont débattu sur le thème ‘Concepteur et/ou exécutant?’ et plus précisément l’incompatibilité architecte-entrepreneur et le monopole de l’architecte sur la conception et le contrôle.
Kristof Uytterhoeven a relevé que le monopole devrait être amélioré et que l’architecte ne peut pas être tenu pour responsable de tout, mais que les cinq piliers de la loi de 1939 sont étroitement liés et qu’il est important de ne pas les approcher de façon isolée. D’après lui, nous pouvons aussi imaginer des formes de collaboration qui préservent l’indépendance.
Dominique Van Cauwenberghe a souligné que le concepteur garde à l’esprit le résultat final et doit être le maillon entre le concept et la réalisation. Koen Baeyens a confirmé: “Le contrôle ne consiste pas seulement à constater mais également à corriger constamment. Nous devons éviter de renchérir la construction encore plus que ce n’est déjà le cas. Pour moi, il n’est du reste pas nécessaire de supprimer l’incompatibilité. La collaboration avec nos entrepreneurs fonctionne justement très bien du fait que nous avons notre spécificité.”
Marc Dillen a souligné la grande différence entre 1939 et 2039: “Si la loi de 1939 n’est pas enfreinte pour certains projets, nous louperons des missions, certainement au sein de l’Europe. Il est inévitable que pour certains business models, l’incompatibilité architecte/entrepreneur sera brisée, certainement pour des projets complexes avec notamment une approche du cycle de vie du coût. Nous devons pouvoir servir le client sur une période de trente ans.”
Lode Waes a encore évoqué son aversion pour le changement qui résulte dans l’immobilisme: “Un architecte a une tâche claire, indépendante. Nous devons nous protéger des architectes hybrides.”
La voix du public
Travailleur social ou mercenaire?
- 26% des architectes présents ont qualifié leur rôle social de grand, 60% de limité, 14% d’inexistant.
- 3/4 ont indiqué viser le projet le plus qualitatif, 1/4 le projet le plus lucratif.
- 4 architectes sur 5 ont estimé que la collaboration d’un architecte doit aussi être obligatoire pour établir les plans spatiaux.
Concepteur et/ou exécutant?
- 57% ont estimé que le monopole doit rester entièrement conservé, 32% ont choisi uniquement un monopole sur la conception, 11% étaient d’avis que le monopole doit disparaître.
- La moitié de tous les architectes présents a estimé que l’incompatibilité architecte/entrepreneur doit être supprimée.
- Presque tous les architectes étaient partisan d’une obligation d’assurance générale pour tous les acteurs de la construction et tous les projets.
Espèce protégée ou proie rêvée?
- 97% ont plaidé pour une actualisation de l’ensemble des tâches légalement délimité.
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45% ont choisi une évolution et une adaptation progressive, 55% ont vu le salut dans un changement rapide et énergique, et ont opté pour une révolution.
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Espece menacée ou proie rêvée?
Le législateur submerge l’architecte de tâches et de responsabilités. Contrairement aux notaires, il manque un cadre légal en matière de rétributions. L’architecte paraît devenir de plus en plus un fonctionnaire mais alors bel et bien dans un marché libre? Marnik Dehaen (président de l’Orde van Architecten), l’avocat Dirk Vermeersch, Luc Deleu (artiste conceptuel, architecte et expert en urbanisme T.O.P. Office) et Inez De Coninck (parlementaire fédéral, N-VA) se sont penchés sur le dernier thème ‘Espèce protégée ou proie rêvée?’ Marnik Dehaen a regretté que les formations délivrent trop de généralistes: “Il est impossible, vu le degré de difficulté, que les architectes puissent tout connaître. Ceux qui travaillent bien sont souvent très spécialisés dans leur discipline. Ne devons-nous pas viser une diversification? Il plaide aussi pour une meilleure délimitation des responsabilités et des notions telles que concept et contrôle. Il s’agit d’oser se lâcher. Une piste consiste à encadrer d’autres formes de collaboration, en plus du monopole.” D’après Luc Deleu, l’architecte doit viser la globalité et se faire aider par des spécialistes.
Inez De Coninck a reconnu que les architectes courbent l’échine sous une lourde charge administrative: “Le contrôle sur la TVA est clairement une tâche des pouvoirs publics. En tant que pouvoirs publics, vous devez oser balayer devant leur porte et veiller à faire respecter les législations. Des adaptations légales sont nécessaires.”
Dirk Vermeersch a relevé, pour terminer, que la protection du titre d’architecte reste pertinente: “A défaut, nous jetons le bébé avec l’eau du bain. Je veux encore souligner l’importance d’un enseignement de qualité au niveau master et des stages revalorisés, le cas échéant évalués par la suite par un examen.”