"Nous perdons pied dans notre propre métier"
Guido Alaerts souligne lâimportance de la formation et de la collaboration

Guido Alaerts est un homme dâexpĂ©rience. A la tĂȘte de sa sociĂ©tĂ© dâinstallation depuis 1990, il a travaillĂ© vingt ans avec plusieurs collaborateurs, puis dix ans seul, et il a vu le secteur Ă©voluer de maniĂšre radicale, du matĂ©riel Ă lâadministration. Une chose nâa jamais changĂ©: le besoin de se former. Un entrepreneur engagĂ© donc, qui ne cesse dâĂ©voluer avec son secteur.
Depuis tout petit
âEnfant, jâĂ©tais fascinĂ© par les sanitaires. DĂšs ma premiĂšre annĂ©e secondaire, jâai dâailleurs choisi cette option. LâĂ©cole, les vacances, le travail ...: tout tournait toujours autour dâhistoires de plomberie. AprĂšs cela, jâai travaillĂ© pour diffĂ©rents patrons, ce qui mâa appris diffĂ©rentes façons de travailler.â
AprĂšs une annĂ©e comme indĂ©pendant complĂ©mentaire, Guido dĂ©cide en 1990 de se lancer Ă titre principal en crĂ©ant sa propre entreprise. âHeureusement que jâĂ©tais encore naĂŻf Ă lâĂ©poque, parce que vous ne comprenez pas vraiment ce que cela implique Ă ce momentâ, dit-il en riant. âMais tout Ă©tait beaucoup plus simple Ă lâĂ©poque. Il y avait moins dâadministratif, les installations Ă©taient plus simples et les rĂšglements Ă©taient souvent une question dâimprovisation.â
Etre au service des gens, câest ce qui a toujours motivĂ© Guido jusquâĂ aujourdâhui. âLes gens mâappelaient pour un problĂšme et je mâappliquais Ă le rĂ©soudre. Câest trĂšs satisfaisant, Ă©videmment. Aujourdâhui, je me consacre presque exclusivement Ă la rĂ©paration et Ă lâentretien des installations existantes. Câest un travail trĂšs gratifiant et cela me permet de travailler de maniĂšre plus dĂ©tendue.â
Personnel
TrĂšs vite dans sa carriĂšre dâindĂ©pendant, Guido commence Ă engager du personnel. AprĂšs quelques discussions sur les mĂ©thodes et les modes de travail, il en arrive Ă la conclusion quâil pourrait approfondir ses connaissances dans son mĂ©tier. âPar pure coĂŻncidence, Syntra venait de lancer des cours du soir Ă Louvain, dans une toute nouvelle Ă©cole. Jây ai suivi les cours de deux grands professeurs, Luc Breers et George Smets. Deux pontes pour qui la pratique nâavait pas de secret. Ils ont Ă©tĂ© capables dâexprimer parfaitement en thĂ©orie ce que nous savions en pratique. La physique, la thĂ©orie ...: tout ce qui compte dans notre travail a Ă©tĂ© mis en lumiĂšre grĂące Ă ces personnes et tout est devenu clair comme de lâeau de roche. Sans eux, je nâen serais pas lĂ aujourdâhui. Je suis bien conscient, du coup, du fait que lâĂ©ducation est nĂ©cessaire. Je suis aussi rĂ©guliĂšrement des formations, Ă©galement sur des produits que je connais dĂ©jĂ . Câest trĂšs important.â
Formation
Guido a donc un avis trĂšs tranchĂ© sur la formation des nouveaux installateurs. âNous devons revenir Ă une sĂ©paration nette entre lâinstallation et la technologie. Câest devenu indispensable.â
âBeaucoup de jeunes sont aussi poussĂ©s par leur famille vers les sciences humaines et les Ă©tudes supĂ©rieures, sans que cela les intĂ©resse. Au bout de cinq ans, ils constatent que cela ne fonctionne pas. Nous devrions pouvoir prendre ces personnes sous notre aile dĂšs le dĂ©but.
Mais malheureusement, lâenseignement professionnel reste mal perçu, Ă tort. Alors que les professionnels gagnent souvent autant, voire plus, que ceux qui ont fait des Ă©tudes supĂ©rieures.â
Des cours plus orientés pratique
âDe plus, la façon dâenseigner laisse parfois Ă dĂ©sirer. On mise beaucoup sur la thĂ©orie. Mais je suis moi-mĂȘme un praticien: la clĂ© de mon cerveau, ce sont mes doigts. Je dois passer par la pratique pour bien comprendre ce que je fais et apprendre. Malheureusement, tous les enseignants ne sont pas en mesure dâutiliser cette mĂ©thode dâenseignement. De plus, ils manquent parfois dâexpĂ©rience pratique parce quâils nâont pas la possibilitĂ© de travailler comme installateur. En consĂ©quence, la formation accumule un retard par rapport au marchĂ©.â
âEn fait, ce nâest pas forcĂ©ment compliquĂ©. Dans le cours de mathĂ©matiques, on pourrait par exemple vous demander de calculer le diamĂštre dâun tuyau en fonction du dĂ©bit nĂ©cessaire."
Avancer seul
AprĂšs vingt ans Ă travailler entourĂ© de collaborateurs, Guido dĂ©cide de continuer seul. âJe ne suis pas vraiment fait pour gĂ©rer des travailleursâ, admet-il. âJe suis perfectionniste, rien nâest jamais suffisant. En vieillissant, je me suis amĂ©liorĂ©. Mais le client me paie pour faire du bon travail. Et puis, vos travailleurs ne font pas toujours ce que vous attendez quâils fassent. Je travaille seul depuis dix ans maintenant, mais jâai rĂ©guliĂšrement des apprentis. Avec eux, je prends vraiment le temps nĂ©cessaire pour bien les prĂ©parer Ă leur future carriĂšre."
âAvant, un simple coffre a outils et peut-etre une ou deux machines suffisaient pour travailler, maintenant, a la fin de la journee, vous passez une demi-heure a rassembler tous vos outilsâ
Evolution du secteur
Pendant toutes ces annĂ©es, Guido a vu le secteur changer Ă©normĂ©ment, dans tous les domaines possibles. âPrenez les outils, par exemple: avant, un simple coffre Ă outils et peut-ĂȘtre une ou deux machines suffisaient pour travailler, maintenant, Ă la fin de la journĂ©e, vous passez une demi-heure Ă rassembler tous vos outils.
Cela est principalement dĂ» Ă la diversification des matĂ©riaux. Autrefois, on travaillait avec des canalisations en cuivre et en acier. Aujourdâhui, il existe toutes sortes de nouveaux matĂ©riaux, marques et accessoires qui nĂ©cessitent chacun leurs propres outils. Je ne suis pas contre, mais ça complique un peu les choses.â
Numérisation
Mais pour Guido, câest surtout la numĂ©risation qui a tout bouleversĂ©. âLes installations fonctionnent maintenant avec des logiciels qui sont modifiĂ©s rĂ©guliĂšrement. Cela peut ĂȘtre frustrant, mais vous pouvez vous dire: je mây mets et jâen profite. Câest pourquoi je pense quâĂ lâavenir, lâinstallateur aura aussi un peu un profil dâinformaticien, pour ne pas avoir Ă dĂ©ranger le fabricant au moindre problĂšme. De toute façon, câest difficile de les avoir en ligne de nos jours. Câest donc une contrainte, mais dâautre part, câest aussi une bĂ©nĂ©diction. Le client peut transmettre Ă distance un code dâerreur afin que vous puissiez trouver le problĂšme beaucoup plus rapidement. Et jâai une quarantaine de clients pour lesquels je peux faire une analyse de leur installation via ma tablette. Vous pouvez agir de maniĂšre beaucoup plus ciblĂ©e, par exemple en remplaçant les piĂšces dâusure Ă temps pour lâentretien ou les rĂ©parations. Autre avantage: vous pouvez organiser vos dĂ©placements automatiquement par rĂ©gion, ce qui vous Ă©vite de parcourir toute la Belgique pour passer chez vos clients. Les installateurs qui refusent de sâadapter Ă la numĂ©risation aujourdâhui auront encore plus de mal Ă le faire Ă lâavenir.â
Administration
âIl en va de mĂȘme pour lâadministration, dâailleurs. La numĂ©risation a changĂ© la donne. La tĂąche peut sembler ardue, mais une administration rationalisĂ©e a aussi beaucoup Ă apporter.
En 1990, jâavais dĂ©jĂ un programme informatique avec lequel je pouvais faire un calcul des pertes de chaleur et crĂ©er des devis complets. CâĂ©tait magnifique. Aujourdâhui, il nâexiste pas de programme idĂ©al, mais il faut apprendre Ă sâen servir, Ă ĂȘtre patient et Ă sây investir. Ma femme travaille aussi Ă temps partiel pour mon entreprise, ce qui me permet de mieux contrĂŽler tout ce qui se passe et dâavoir une meilleure situation financiĂšre. Si jâavais pu faire ça il y a 15 ans, jâaurais pu prendre ma retraite maintenant, pour ainsi dire. Je le recommande donc vivement Ă la nouvelle gĂ©nĂ©ration: investissez dans les outils, lâadministration et la numĂ©risation.â
Travail au noir
Tout comme le travail âanalogiqueâ, le travail au noir, câest du passĂ©, continue Guido. âAujourdâhui, travailler en noir, câest vraiment jouer avec le feu. Et avec le numĂ©rique, câest devenu quasiment impossible. Les contrĂŽles sont plus stricts, et les inspecteurs retrouvent tout dans votre administration. Le travail non dĂ©clarĂ© dans notre secteur a donc presque disparu. De plus, les gens sont devenus plus critiques, et surtout: ils nâont plus de grosses sommes dâargent Ă la maison. Au dĂ©but de lâeuro, je me suis rendu chez des gens qui avaient plus de 20.000 euros en liquide, comme sâil sâagissait de francs belges. Maintenant, plus personne nâa de telles sommes dans son bas de laine.â Guido estime aussi que le travail dĂ©clarĂ© prĂ©sente de nombreux avantages. âVotre trĂ©sorerie est bien meilleure, ce qui facilite lâobtention de prĂȘts.
De plus, depuis que je travaille avec des bons de travail numĂ©riques, je nâai plus de problĂšme de mauvais payeurs. Tout est beaucoup plus clair, le client est mieux informĂ© et comprend ce quâil signe.â
Réglementation
En trente ans, les installations et les matĂ©riaux sont devenus plus complexes, comme les techniques et les rĂ©glementations. âEncore une fois, vous pouvez vous rĂ©volter contre toute nouvelle loi ou rĂšgle. Ou alors vous prenez le parti de vous immerger dans les rĂšgles pour les appliquer progressivement dans votre travail. Câest la seule chose qui nous distingue du bricoleur amateur. Et en fin de compte, ces rĂšgles ont leur raison dâĂȘtre. Parfois, il nous arrivait de faire des choses pas trĂšs correctes. Je pense donc que les contrĂŽles externes sont justifiĂ©s. Cerga, par exemple, vĂ©rifie trois de mes installations par an. Et il est dĂ©jĂ arrivĂ© que jâai reçu une remarque sur quelque chose qui nâĂ©tait pas correctement terminĂ©. Jâai corrigĂ© mon erreur tout de suite. Je ne dĂ©fends pas un Etat gendarme, mais il est bon parfois dâavoir quelquâun qui sâassure que vous faites ce quâil faut."

âDĂ©chargerâ le client, pas toujours une bonne idĂ©e
Les fabricants nâont pas non plus Ă©chappĂ© Ă cette complexitĂ© croissante. Pour certains, câest mĂȘme devenu leur raison dâĂȘtre: âdĂ©chargerâ le client. Ce nâest pas forcĂ©ment une bonne chose, selon Guido. âJe pense que nous perdons pied dans notre propre travail de cette façon. Nous ne savons plus comment quelque chose fonctionne, mais nous devons lâinstaller. Et certains fabricants vont prospecter eux-mĂȘmes et ont leurs propres âinstallateursâ, et nâont donc plus besoin de nous. Il y a de quoi ĂȘtre furieux, mais je pense que nous devrions dâabord nous recentrer sur nous-mĂȘmes.
Nous devons consacrer plus de temps Ă la connaissance des installations, quelle que soit leur complexitĂ©. Câest la seule façon de garder notre travail. Câest pourquoi je plaide pour une distinction entre installation et technologie dans les formations. RĂ©cemment, jâai dĂ» mettre en place une installation pour un autre collĂšgue. Tout simplement parce quâil ne savait pas comment faire. Jâessaie toujours dâĂȘtre aussi collĂ©gial que possible, mais il y a aussi des installateurs qui vivent encore au XIXe siĂšcle et qui ne laissent personne dâautre sâoccuper de âleursâ clients.
Pourtant, nous avons vraiment besoin de collaborer beaucoup plus. Tout est devenu plus complexe et nous ne pouvons plus tout faire nous-mĂȘmes."
Spécialisation
Guido pense que lâavenir appartient Ă ceux qui se spĂ©cialisent. âLes grandes entreprises peuvent diviser leurs activitĂ©s en diffĂ©rentes Ă©quipes, mais en tant que petit installateur, cette option nâexiste pas. Impossible de tout connaĂźtre, câest tout. Et ce nâest pas seulement une question de techniques, mais aussi de marques, surtout maintenant quâelles ont chacune leurs propres logiciels et rĂ©glementations.â
âLa transition est inevitable et nous devrons lâaccepter. Câest pour ça que je suis convaincu quâil faudra aussi plus miser sur la collaboration a lâavenir. Nous ne pourrons pas tous y arriver seulsâ
Un avenir électrique
Guido sâintĂ©resse peu aux nouvelles techniques telles que les pompes Ă chaleur et les chauffe-eau solaires, mais il y croit fermement. âPour les quelques annĂ©es quâil me reste, je ne vais pas mây mettre. Mais je ne comprends pas quâil y ait encore des architectes et des installateurs qui ne suivent pas cette tendance. Certains collĂšgues continuent de ne jurer que par les combustibles fossiles. Chacun a le droit dâavoir sa propre opinion Ă ce sujet, mais je crois que lâavenir sera Ă©lectrique. Si vous voyez que mĂȘme lâArabie Saoudite investit massivement dans des alternatives aux combustibles fossiles, câest que câest du sĂ©rieux.
Je pense que nous allons vivre une transition avec un mĂ©lange de techniques - par exemple le biogaz - mais Ă la fin, nous nous retrouverons avec de lâĂ©nergie Ă©lectrique. Je ne vois pas dâautres scĂ©nario. La transition est inĂ©vitable et nous devrons lâaccepter. Câest prĂ©cisĂ©ment la raison pour laquelle je suis convaincu quâil faudra aussi plus miser sur la collaboration Ă lâavenir. Nous ne pourrons pas tous y arriver seuls. Lâinstallateur doit pouvoir anticiper. Si vous allez installer une chaudiĂšre bon marchĂ© pour un jeune couple, parce que leur budget est serrĂ©, vous devez veillez Ă ce que lâinstallation soit conforme. Pour quâelle fonctionne encore quand ils investiront dans une nouvelle chaudiĂšre dans dix ans. Ou bien, lors de lâinstallation dâun chauffage par le sol, vous pouvez dĂ©jĂ prĂ©voir que la chaudiĂšre Ă gaz sera remplacĂ©e Ă terme par une pompe Ă chaleur. Câest Ă lâinstallateur de savoir maintenant ce qui est nĂ©cessaire pour lâavenir."