"L'architecture est humaine et émotionnelle

Li Mei Tsien (B612architectes) propose d'accorder plus d'attention à une architecture de qualité

Le chemin vers le bureau d'architecture B612architectes passe du rez-de-chaussée au grenier via une passerelle inclinée à l'air libre, avec vue sur la verdure environnante faite d'herbes et de bambous qui se balancent. Pour l'architecte Li Mei Tsien, d'origine chinoise, l'architecture est une question d'émotion et consiste à créer un cadre adapté capable d'affronter l'avenir. Faisons sa connaissance.

 

Li Mei Tsien a ouvert son cabinet il y a vingt-quatre ans, après de solides études universitaires. Conférencière à ses heures et enseignante à l'Université de Mons, elle a largement matière à alimenter sa réflexion. Aujourd'hui, plus que jamais, elle se consacre à son bureau d'architecture B612. Li Mei Tsien: "Si je ne m'étais pas tournée vers l'architecture, j'aurais certainement choisi le journalisme. J'aime écrire, l'écriture me parle particulièrement. Dans les années 1990, dans le cadre de mon cours de théorie de l'architecture, j'ai eu l'occasion de consacrer du temps à l'écriture et de participer à des conférences et colloques tels que Inside Density, organisé par David Vanderburgh et Hilde Heynen (respectivement de l'UCL et de la KUL)."

Le petit prince

Que se cache-t-il derrière ce nom mystérieux?
Li Mei Tsien: "Nous voulions un nom abstrait. B612 fait référence au nom de l'astéroïde dans le Petit Prince de Saint-Exupéry. Ce choix correspondait parfaitement aux souhaits de l'équipe, composée de personnes très différentes."

Dans l'ensemble de votre œuvre, on remarque que votre bureau semble se concentrer sur des projets 'sociaux'. Vous concevez des crèches, mais il y a aussi des institutions culturelles, des espaces publics, des logements, des masterplans ...
Li Mei Tsien: "En ce moment, nous travaillons beaucoup sur des projets en marché public. Dans ce segment nous avons réalisé de nombreux programmes: logements sociaux, parcs, salles de sport et écoles. Pour l'instant, nous avons peu de projets privés; en dehors de quelques projets achevés, notre réseau dans ce segment de marché est plutôt limité. Nous avons commencé avec de nombreux projets particuliers, comme la rénovation de lofts ou la transformation d'une ancienne boulangerie sur la Chaussée de Wavre à Ixelles."

"Beaucoup de gens pensent que l'architecture est technique mais à mon avis, l'architecture est culturelle et artistique"

Programme mixte

Avec le projet Fontainas dans le Pentagone bruxellois, vous avez été sous le feu des projecteurs en raison du programme très mixte et de la réanimation d'un quartier problématique dans une ambiance urbaine. 
Li Mei Tsien: "En effet, nous sommes très fiers du contenu de ce projet. Nous y avons investi beaucoup de temps et d'énergie, et nous sommes heureux du résultat qui a un impact à l'échelle de tout un quartier. Le projet a vraiment modifié le quartier et permis plus de rencontres. Il est très social car, comme vous le mentionnez, il a un programme très mixte. Il y a une crèche, un établissement de restauration, un restaurant, une salle de sport. C'est également un projet très inclusif."

Fontainas est-il l'expression d'une nouvelle culture urbaine?
Li Mei Tsien: "Pour nous, c'est un projet important, car il montre comment nous parvenons encore à préserver des espaces ouverts dans la ville grâce à une certaine architecture. Dans ce projet, les eaux de pluie sont récoltées au moyen de noues végétalisées."

Fontainas est-il le seul projet à l'échelle d'un quartier dans votre portfolio?
Li Mei Tsien: "Un autre projet d'importance au moins égale est celui de Charmille Schuman, pour lequel nous avons aussi élaboré le masterplan. Il s'agit d'un éco-quartier avec deux écoles et une crèche. Plus tard, la commune ajoutera des logements. Le projet est compact, ce qui est important d'un point de vue énergétique. Il y a beaucoup de verdure et une infrastructure sportive pour les résidents."

Votre philosophie est de rechercher des solutions originales et pertinentes pour chaque situation spécifique. Pouvez-vous expliquer?
Li Mei Tsien: "Le contexte d'un projet est très important et dans ce contexte, de nombreux paramètres entrent en jeu. Il y a les paramètres humains, les paramètres environnementaux, les paramètres économiques. La combinaison de ces paramètres rend toujours chaque projet unique. La pertinence d'un projet est principalement liée à la question du client qui y voit une correspondance avec les paramètres existants. Nous, nous y apportons une réponse adéquate, en tenant compte du contexte."

Vous parlez d'éviter les cadres rigides...
Li Mei Tsien: "L'architecture ne doit pas toujours être parfaitement explicite ou définitivement figée, nous vivons dans une société en développement. Le cadre bouge, il n'est pas immuable car après tout, l'architecture est humaine. Lorsque nous parlons de cadres rigides, cela n'a aucun rapport avec le langage architectural d'aujourd'hui. L'architecture est davantage liée à la réflexion architecturale, à la vision et à ce que l'architecture veut représenter. Il ne s'agit pas de s'astreindre à une certaine formalisation, mais de garder les propositions architecturales flexibles et de permettre des ouvertures dans le temps. En bref, fournir un cadre possible pour demain."

"Apprendre à regarder l'architecture devrait être davantage enseigné dans les écoles

Humain et émotionnel

L'émotion joue un rôle important dans votre architecture.
Li Mei Tsien: "Pour moi, l'émotion est la capacité de subir le changement. L'émotion est fondamentalement très humaine et elle est très importante car c'est par l'émotion que nous réagissons à l'art et à l'architecture. Je suis surprise que de nombreuses personnes pensent que l'architecture est une technique. A mon avis, l'architecture est avant tout culturelle et artistique, donc résolument humaine et émotionnelle."

Les projets d'architecture qui suscitent l'émotion et sont couronnés de succès sont rares...
Li Mei Tsien: "Il existe certainement des bâtiments qui sont beaux et bien conçus, mais il faut aussi 'apprendre' à regarder l'architecture. Ce sujet devrait être davantage abordé dans les écoles, car l'architecture est très présente dans notre environnement. Cela conférerait à l'architecture la place qui lui revient et déterminerait notre vision du monde. Les gens voient-ils suffisamment la différence entre un beau projet et un moins beau projet? Je me le demande. Sont-ils assez sensibles pour cela? Je pense que c'est principalement une question d'éducation. L'architecture détermine certainement la façon dont les gens perçoivent le monde. Si nous manquons de bonne architecture, c'est parce qu'on n'a pas toujours l'occasion de faire de la bonne architecture. Un bon maître d'ouvrage porte également ses fruits. Mais aujourd'hui, le marché exige une architecture médiocre, peut-être parce que peu de gens sont sensibilisés à la qualité de l'architecture au fil de leur éducation.

Vous n'êtes pas très connus en Flandre...
Li Mei Tsien: "C'est peut-être lié au fait que nous parlons français. A l'époque, nous avions soumis notre candidature pour le 'Jaarboek van de architectuur'. Nous avons été sélectionnés mais ensuite, nous avons malheureusement reçu un courrier indiquant que seuls les architectes néerlandophones pouvaient participer."

 

Quelques projets

bâtiments scolaires passifs

 

Le projet consiste en la reconstruction des écoles maternelle et primaire Parc Schuman (5.577 m² avec deux cours de récréation extérieures et deux cours de récréation couvertes, pour respectivement 220 et 370 élèves), l'école spéciale La Charmille (2.819 m² brut pour 150 élèves), une garderie (60 enfants) et une salle de sport (200 spectateurs). Les bâtiments répondent au standard de maison passive de la Région bruxelloise et font partie du développement d'un éco-quartier à Woluwé-Saint-Lambert. Ces deux écoles compactes présentent de grandes qualités écologiques, économiques et pédagogiques, avec un atrium central baigné de lumière qui constitue le cœur de la vie scolaire. L'objectif d'un confort acoustique optimal se traduit non seulement par une isolation épaisse entre les salles de classe, mais aussi par un contrôle de la réverbération grâce à des plafonds absorbants. Ce projet répond donc aux critères acoustiques de la plus récente norme belge applicable aux bâtiments scolaires (NB S01-400-2). La salle de sport est à moitié enterrée dans le volume de l'école du Parc Schuman et est directement accessible par un hall d'entrée indépendant. Elle dispose de son propre vestiaire et d'une petite cafétéria et elle peut accueillir un maximum de 200 spectateurs.

 

Complexe résidentiel sur un site sensible

 

Ce nouveau complexe résidentiel (34 appartements de haute qualité avec 1 à 3 chambres) est situé dans une vallée entre le plateau Avijl et le Kauwberg, deux importantes réserves naturelles de la commune d'Uccle. Le projet se trouve donc dans un endroit très sensible: dans une transition entre les zones urbaines et rurales, en bordure d'une réserve naturelle protégée. B612architectes a proposé de renforcer les connexions existantes avec le paysage. Son expression formelle est fondée sur une analyse approfondie de la topographie du site et de la morphologie de l'environnement bâti. Les appartements sont regroupés autour d'un jardin central commun donnant sur le Kauwberg. La volumétrie descend ensuite doucement vers le plateau, jusqu'à ce que les bâtiments se fondent dans le relief naturel du site. Les toits verts forment ainsi littéralement une extension du paysage dans la zone bâtie. De vastes terrasses sur le toit, des balcons et des jardins privés renforcent l'ambiance verdoyante.

 

Réanimation d'un quartier de la ville

A Bruxelles, B612architectes a créé un nouveau morceau de ville au cœur de la métropole. La configuration de l'îlot Fontainas est aujourd'hui considérée comme un biotope alliant habitat, commerces et travail de manière bien pensée, avec de nombreux espaces verts et des installations sportives, un lieu animé et pétillant de vie. Le bureau a conçu des complexes résidentiels frappants et créé des espaces intermédiaires supplémentaires qui s'intègrent parfaitement dans ce contexte urbain spécifique.

Dans cette perspective, l'architecture se manifeste comme un développement urbain, ce que le bureau d'architecture a particulièrement bien compris. Tous les paramètres possibles de cet espace urbain ont été intégrés et traduits en formes urbaines solides. En ce qui concerne le concept, il est clair que les concepteurs ne se sont pas précipités. Il y a une division intelligente du privé et du public, des espaces ouverts et fermés, avec une grande attention portée à la verdure, aux installations sportives et aux infrastructures commerciales. "Nous travaillons toujours à des solutions originales et adaptées à chaque situation spécifique", déclare l'architecte et chef de projet Li Mei Tsien. "Les compétences multidisciplinaires au sein de notre équipe nous permettent de rendre ce genre de projet intéressant et stimulant pour ce quartier particulier."

  

 

B612architectes: LES FONDATEURS

Li Mei Tsien est ingénieur civil-architecte, diplômée de l'ULC (Université Catholique de Louvain-La-Neuve) en 1993. Elle a ensuite obtenu une maîtrise en urbanisme à l'université de Taïwan et une maîtrise en théorie et histoire de l'architecture à l'Architectural Association de Londres. Avant de cofonder B612architectes en 1997, elle a travaillé un temps chez CK Tcheng et IM Pei Associates à Taïwan et chez Bruno Albert à Liège.

Olivier Mathieu a obtenu son diplôme d'ingénieur-architecte à l'UCL (Université Catholique de Louvain-La-Neuve) en 1994. La même année, il obtient un diplôme de philosophie de la même université. En 1997, il a fondé, avec Li Mei Tsein, B612architectes. Avant cela, il a travaillé au bureau Charles Vandenhove & Associates à Liège.