La durabilité et l'innovation au service d'une brasserie plus rentable
Les investissements permettent d'augmenter la production de bière
Avec les pipelines de bière, les parcs solaires, les éoliennes ou les stations d'épuration de haute technologie, les brasseries ont fait les premiers pas vers une activité respectueuse de l'environnement. Aujourd'hui, l'ambition va plus loin encore, en optant pour une activité durable sous toutes ses facettes. Le défi est de taille, car il faut beaucoup de recherche et de réflexion, ainsi que de la persuasion, pour que tous les membres de la brasserie soient sur la même longueur d'onde. Mais les premières expériences montrent que le brassage durable est payant, même lorsque la production de bière augmente.
Lorsque la brasserie Delirium L. Huyghe de Melle a inauguré une nouvelle salle de brassage en 2012, cela a marqué le début d'une vague verte pour le PDG Alain De Laet. "Pas tellement d'un point de vue financier, mais dans le contexte d'une entreprise durable, je veux donner à mon fils Alexandre une meilleure brasserie que celle que mon père Jean et moi-même avons reprise", explique-t-il.
"Mon ambition est de devenir la plus grande brasserie durable du pays. Entre-temps, je peux prouver que l'entrepreneuriat durable et la croissance sont payants, à condition que l'entreprise soit rentable. Il y a dix ans, nous brassions moins de 90.000 hl, aujourd'hui c'est 295.000 hl, nous exportons 85% et notre chiffre d'affaires est passé de 15 à 54 millions d'euros."
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Le grand nombre de marques complique la durabilité
Avec 52 marques basées sur 27 recettes différentes, la brasserie L. Huyghe est très différenciée, ce qui a un impact négatif sur le développement durable. "Il faut chercher où et comment brasser de manière plus durable tout en respectant la tradition. Lorsque nous avons investi 5 millions d'euros dans une salle de brassage moderne, j'avais calculé qu'elle serait amortie en dix ans grâce à la baisse des coûts énergétiques.
"À partir de là, nous avons commencé à voir si nous ne pouvions pas économiser encore plus. Nous avons installé une centaine de compteurs qui enregistrent la consommation d'eau, d'électricité, de vapeur et de produits chimiques pour les processus de nettoyage tout au long du processus de brassage. Mesurer, c'est savoir! C'est ainsi que l'on découvre les points faibles et que l'on peut prendre les mesures nécessaires plus rapidement."
Une activité et une croissance durables sont payantes lorsque l'entreprise est rentable
"Grâce à l'automatisation du processus de nettoyage et à l'installation de cuves de fermentation et de garde plus grandes, nous extrayons chaque année 9.000 hl de bière qui seraient autrement perdus. Un nouveau filtre à moût permet d'économiser plusieurs milliers de mètres cubes d'eau. Une meilleure malterie permet d'augmenter le rendement de 4%. Grâce à une nouvelle station d'épuration, nous pouvons réutiliser jusqu'à 70% de l'eau et les boues ne sont plus collectées qu'une fois par mois, alors qu'elles l'étaient auparavant une fois par semaine", énumère M. De Laet.
Comme d'autres brasseurs, Alain De Laet a signé le Green Deal flamand pour réduire la consommation d'eau en 2018. Il s'y est engagé à réduire la consommation de 3,5 à 3 litres d'eau pour 1 litre de bière. "En 2020, nous étions à 3,24 litres, l'année dernière à 2,74 litres et maintenant je vise moins de 2,6 litres en tenant compte d'une augmentation de la production", a-t-il déclaré.
"C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour un brassage à haute densité, qui consiste à brasser une bière plus lourde et à la diluer avec de l'eau désaérée. En conséquence, nous utilisons jusqu'à 30% d'eau de brassage en moins et 30% d'électricité et de vapeur en moins, car le volume de moût à chauffer et à faire bouillir est plus petit et l'humidité s'évapore moins."
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Objectifs de l'Unesco atteints en trois ans
En 2020, la brasserie L. Huyghe a obtenu le certificat "Unitar Pioneer" car, en réponse à un projet de Voka Oost-Vlaanderen, elle a atteint 30 points d'amélioration répartis sur les 17 objectifs de durabilité de l'Unesco au cours de trois années consécutives.
En ce qui concerne l'emploi durable, par exemple, la brasserie collabore avec l'entreprise de fabrication sur mesure Ryhove, qui emploie jusqu'à 25 personnes par jour dans la brasserie pour emballer des commandes spécifiques. Auparavant, jusqu'à 750 camions faisaient chaque année la navette entre la brasserie et l'entreprise de personnalisation.
"En termes de mobilité et d'ergonomie pour nos employés, nous passons à des achats en vrac de malt, de sucres et de produits chimiques. Pour les exportations, nous avons envisagé le train comme moyen de transport respectueux de l'environnement, mais ce n'est pas réaliste", précise M. De Laet.
"Le coût du transport était le double de celui du transport routier. De plus, le transport vers un importateur parisien prendrait jusqu'à trois semaines si j'amenais le conteneur à la gare de marchandises de Courtrai. Au départ de Gand, c'est encore plus cher, car la manutention des conteneurs doit être effectuée par des dockers agréés."
M. De Laet ne manque pas d'ambition. "C'est une réflexion permanente et une recherche d'optimisation. Nous voulons réutiliser l'eau de pluie traitée pour des applications spécifiques et récupérer le dioxyde de carbone des cuves de fermentation afin d'acheter 60 à 70% de dioxyde de carbone en moins. Dans les salles chaudes où la fermentation en bouteille commence, nous passons au chauffage par le sol."
"Chaque mois, un employé doit me proposer une initiative en matière de développement durable. Il s'agit souvent de petites choses, comme l'installation d'un éclairage LED et de capteurs ou le chargement direct des batteries d'un chariot élévateur à l'aide d'un panneau solaire. Le week-end, je me promène dans la brasserie. C'est alors le calme plat et on entend un robinet qui fuit, de l'air ou du gaz qui s'échappe quelque part, on voit comment des lumières sont restées allumées ou des appareils branchés inutilement."
Le pipeline de bière élimine les camions-citernes de la ville historique
À Bruges, la brasserie De Halve Maan est entrée dans l'ère verte en 2015–2016 avec la construction d'un pipeline de bière souterrain de 3,2 km entre la brasserie située dans le centre historique et le centre d'embouteillage et de distribution situé dans la zone PME à la périphérie de la ville.
"Jusqu'alors, un millier de camions-citernes manœuvraient chaque année sur la petite place pour transporter la bière de la brasserie à l'usine d'embouteillage", explique Xavier Vanneste, chef d'entreprise. "Pour ce projet de 4 millions d'euros, nous avons récolté 300.000 euros auprès du public par le biais du crowdfunding. Sans cette canalisation de bière, la survie de la brasserie dans ce lieu touristique aurait été difficile."
La Brasserie du Bocq (Purnode) et la Brasserie des Légendes (Irchonwelz) ont également construit des canalisations de bière similaires, d'une longueur de quelques centaines de mètres seulement, afin d'empêcher les camions de pénétrer dans les petites cuvettes des villages ruraux.
En 2018, De Halve Maan a également signé le Green Deal flamand pour réduire la consommation d'eau en cinq ans. "À l'époque, il manquait un objectif concret car de nombreux travaux d'étude devaient encore être réalisés. En investissant dans un nouveau centre de remplissage de haute technologie avec traitement et récupération de l'eau, nous avons réduit de moitié notre consommation d'eau."
"70% de l'eau purifiée est réutilisée pour le nettoyage des installations et des caisses. Les 30% restants sont des eaux de surface destinées à l'entretien des espaces verts de notre site. En fait, notre ambition est de réutiliser davantage d'eau, ce qui signifie que nous devons pomper moins d'eau dans le sous-sol."
Réduire les coûts énergétiques grâce à une ferme solaire et à une installation de biogaz
"Comme les eaux usées contiennent beaucoup de matières organiques, nous avons installé une usine de biogaz", poursuit M. Vanneste. "En conséquence, nous achetons jusqu'à 30% de gaz naturel en moins pour chauffer les cuves de brassage, ce qui est un bonus appréciable depuis la crise de l'énergie. Au cours de cette période, nous avons avancé un projet d'investissement à plus long terme dans des panneaux solaires par le biais du crowdlending."
"Les 2 millions d'euros nécessaires à cet effet ont été collectés auprès d'investisseurs et de particuliers en l'espace de 24 heures. Cela nous permettra de produire nous-mêmes 50 à 60% de notre consommation d'électricité et de réduire stratégiquement notre dépendance à l'égard d'un seul fournisseur. Lorsque nous installerons un parc de batteries, nous pourrons atteindre 80 à 90%."
La durabilité est une histoire qui n'est jamais terminée car elle nécessite un changement de mentalité
"La durabilité est une histoire qui n'est jamais terminée car elle implique également un changement de mentalité", affirme M. Vanneste. "Nous cherchons maintenant à optimiser davantage l'ensemble du processus avec des gains rapides en utilisant moins d'eau lorsque c'est possible, en revoyant la planification de la production, en adaptant l'organisation, etc."
"Il faut continuer à chercher et à s'améliorer là où c'est possible. C'est pourquoi nous nous sommes fortement engagés à utiliser des bouteilles consignées pour la Belgique et les pays voisins dans un rayon d'environ 100 km autour de la brasserie. Pour les exportations outre-mer, nous optons pour des caisses en carton et des fûts en plastique ('key kegs') que les gens peuvent apporter dans un parc de recyclage."
Neutralité climatique grâce à une immense éolienne
Lorsque les brasseries sont situées sur deux sites, les opérations durables ne sont pas évidentes. C'est le cas à Chimay, où la brasserie trappiste est située dans l'abbaye, tandis que l'usine d'embouteillage et le centre de distribution se trouvent dans la zone PME de Baileux.
Après l'installation de panneaux solaires sur les toits de la brasserie (2009) et du centre de distribution (2019), une éolienne de 150 mètres de haut et d'une capacité annuelle de 5.200 MWh a été installée en 2020. L'ensemble de ces mesures permettra à l'usine d'embouteillage et à la fromagerie de fonctionner à 85% avec de l'électricité verte autoproduite. D'ici dix ans, la brasserie vise à fonctionner de manière totalement neutre sur le plan climatique.
"Le défi est de taille", confirme Baptiste Crombé, ingénieur en environnement et expert climatique du Groupe Chimay. "D'une part, nous assurons le suivi des contrats et des collaborations existants; d'autre part, nous cherchons à accroître notre efficacité et à intégrer des innovations sans peser sur l'environnement."
"Dans ce domaine, nous avons déjà obtenu de bons résultats. Par rapport à 2018, la consommation d'électricité a baissé de 13% pour atteindre 15,42 kWh par hectolitre. On a consommé 20% d'eau en moins, passant de 5,56 à 4,47 litres d'eau pour 1 litre de bière. Il n'est pas évident de récupérer les flux d'eau résiduels à l'intérieur du site de l'abbaye, la brasserie et le centre de remplissage étant distants de 10 km."
"C'est pourquoi nous étudions la possibilité de mettre de l'eau purifiée à la disposition des exploitations agricoles voisines. Nous pourrions éventuellement injecter cette eau à 150 mètres de profondeur pour préserver le niveau de la nappe phréatique. Nous pomperions ensuite à partir de cette profondeur, au lieu des 40 mètres actuels."
Recherche de synergies avec les exploitations agricoles
"Dans le plan d'avenir 2024–2034, nous visons à réduire considérablement les émissions, notamment en sensibilisant le public et en examinant comment nous pouvons mieux utiliser l'énergie renouvelable autoproduite pour électrifier davantage divers processus pour lesquels des générateurs de vapeur et des pompes à chaleur sont actuellement utilisés."
"Nous recherchons des synergies locales avec les exploitations agricoles pour utiliser les drêches comme fourrage ou produire du biogaz. Nous devons poursuivre une économie circulaire où un écosystème autour des besoins et de la consommation d'énergie peut être appliqué dans un environnement rural."
"Par ailleurs, nous prévoyons des projets plus modestes tels que le choix de formes d'emballage plus écologiques pour l'exportation, une végétalisation du site de la zone PME à Baileux et une meilleure gestion de l'eau pour la fromagerie. Un suivi constant avec des données chiffrées est plus que nécessaire afin de rendre les opérations plus durables."
Parallèlement au Groupe Chimay fonctionne la Fondation Chimay-Wartoise, créée en 1996 à l'initiative des moines et qui contribue depuis au développement intégral, économique, social et environnemental de la région dans une société en mutation.
Tirer parti de la filière courte avec l'orge de brasserie belge
Stimulées par les organisations agricoles, de plus en plus de brasseries belges optent entre-temps pour la filière courte et l'orge cultivé localement. Toutefois, la quantité d'orge brassicole belge reste limitée à quelques pour cent. Pas moins de 97% de l'orge de brasserie maltée en Belgique provient de l'étranger, en partie à cause des zones de culture plus petites en Belgique et de la qualité souvent médiocre.
Encouragée par la Région wallonne, la malterie Belgomalt a lancé en 2019 le projet Pure Local en partenariat avec la coopérative agricole CultivAé pour cultiver à nouveau de l'orge de brasserie sur les riches sols sablo-limoneux de Haspengouw.
En Flandre, des brasseries telles que De Halve Maan (Bruges), L. Huyghe (Melle) et 3 Fonteinen (Beersel) ont été les premières à utiliser de l'orge cultivée localement. La grande percée a été réalisée par Alken-Maes en collaboration avec l'organisation agricole Arvesta et une cinquantaine d'exploitations agricoles qui cultivent aujourd'hui environ 300 hectares d'orge de brasserie.