“ON OBSERVE UN MOUVEMENT DE RATTRAPAGE DANS LE REMANUFACTURING"
Interview avec Frank Schlehuber, directeur Aftermarket chez CLEPA
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Le marché de la révision s'est depuis quelque temps déjà clairement défait de son statut non mérité de 'cinquième roue' de l'industrie du recyclage. Bien qu'elle ait longtemps cherché sa propre identité, la révision de pièces est maintenant une niche en elle-même. La situation s'est renversée en septembre 2016 quand l'identité et les définitions autour de la révision ont enfin été fixées. Ceci s'est révélé être une absolue bénédiction pour le secteur. Il nous semblait dès lors le bon moment pour un entretien approfondi avec CLEPA, l'un des ténors dans la lutte pour l'unité et la normalisation internationales sur le marché de la révision.
CLEPA EN BREF
CLEPA est l''European Association of Automotive Suppliers', l'organe coordinateur pour les entreprises de sous-traitance au sein du secteur automobile. L'organisation a été fondée en 1959 et défend les intérêts des sous-traitants les plus éminents dans l'industrie automobile. Entre-temps, l'organisation compte 120 membres actifs, soit 5 millions de salariés qui réalisent un chiffre d'affaires commun de pas moins de 600 milliards d'euros. Chaque année, environ 18 milliards de cette somme sont investis dans le R&D, soutenu de façon intensive par CLEPA. Surtout dans des sujets qui déterminent le futur tant lointain que proche de l'industrie automobile: connectivité, 'advanced manufacturing', conduite autonome, la problématique du CO2, l'électrification et l'automatisation.
TENDANCES TECHNOLOGIQUES
“Le plus passionnant est que toutes ces tendances se manifestent actuellement en même temps, dans un même laps de temps", affirme Frank Schlehuber, directeur Aftermarket chez CLEPA. “Nous n'avions jamais cela avant; le fait qu'une véritable cascade de transformations se profile dans une aussi courte période." Le CV de Schlehuber respire l'expérience allround internationale dans l'aftermarket. Ce n'était donc pas une coïncidence qu'après plus de 25 ans d'expérience chez le géant technologique Bosch, il a été délégué directeur du département aftermarket au CLEPA il y a un an.
L'accès aux données
“Mes tâches principales sont en fait en phase avec les défis technologiques qui nous attendent: l'accès aux données, la connectivité et préparer l'industrie au monde numérique du futur", explique le directeur. “L'un des aspects les plus cruciaux est l'accès égal aux données de véhicules pour tous les acteurs."
AFTERMARKET ET ECONOMIE CIRCULAIRE
Les objectifs politiques n'ont jamais été plus clairs: une plus grande réutilisation des pièces et la réduction des déchets, et par- dessus tout l'encouragement d'une économie circulaire efficace. Les quatre industries principales qui y contribuent, ne sont pas par hasard l'aéronautique, le secteur de la santé, l'électronique de consommation et l'automobile. Ce sont tous des secteurs qui ont un impact déterminant sur nos systèmes tant économiques qu'écologiques en raison de leurs volumes substantiels.
Remanufacturing
Outre la réparation et le recyclage éventuel des matières premières individuelles, la réutilisation après la révision semble de loin la seconde voie la plus idéale. Des chiffres actuels suggèrent toutefois que ceci n'est pas toujours pertinent. Pour l'heure, seul 10% de l'aftermarket est représenté par le remanufacturing. Toutefois, les chiffres ont aussi un impact positif. “N'oubliez pas que ce pourcentage apparemment faible correspond à plus de 8 milliards de chiffre d'affaires; soit 32.000 jobs européens", souligne Schlehuber. “De plus, cela recèle un énorme potentiel pour l'avenir, dans lequel le remanufacturing et l'aftermarket se rapprocheront de plus en plus et évolueront vers des synonymes. Il est évident que tout ne sera jamais révisable, mais notre industrie s'efforce actuellement d'initier un mouvement de rattrapage spectaculaire. Nous savons très bien ce que nous voulons."
LE PROCESSUS DE REVISION
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“Derrière chaque révision réside un système logistique inverse complexe", poursuit le directeur. “Après la logistique entrante suivent dans l'usine de révision un tri et une canalisation approfondis des pièces après identification. Pour ma part, ce dernier point est le plus critique, parce qu'il n'est pas rare que des numéros de série deviennent illisibles, voire disparaissent à cause de la corrosion ou de l'usure. Ici réside une responsabilité importante pour l'entreprise de révision, qui doit posséder l'expertise pour pouvoir identifier correctement les pièces. Puis suivent le démantèlement et le nettoyage. L'élément est ensuite prêt pour la révision effective selon un processus préalablement décrit et standardisé. Après l'emballage prescrit suit finalement la logistique sortante en direction du client.“
Garantie de la qualité
Une pièce révisée est similaire en fonctionnalité à une originale, parce qu'elle a été révisée conformément à des processus industriels standardisés et documentés, qui doivent exclure les compromis en matière de qualité. L'entreprise de révision scelle cet engagement par le biais d'une garantie correspondante. Une donnée de qualité importante est la mention du remanufacturer sur le produit via l'étiquetage. Cette caractéristique évite aussi qu'un produit révisé soit confondu avec un original.
REVISER QUOI?
Autres pièces
“Nous sommes dans une phase de transition importante. D'un point de vue classique, les injecteurs, les pompes de diesel, les systèmes de direction et les alternateurs par exemple sont déjà révisés. Un nombre de pièces relativement plus neuves élargit aussi le marché aujourd'hui, quoi qu'il en soit. Prenez les phares LED, dont seul le verre frontal est cassé: ce type de pièces est bien trop onéreux pour écarter l'option du remanufacturing et remplacer tout le module ou même le pare-chocs. Quelques-uns de nos membres se spécialisent déjà en ce moment dans cette nouvelle sorte de révisions", précise Schlehuber. “Un autre exemple concerne les tableaux de bord avec un écran cassé: ces pièces sont parfaitement révisables."
Défis
En comparaison avec les révisions plus classiques, l'industrie est toutefois confrontée à quelques difficultés très spécifiques. L'une des plus importantes est la disponibilité des pièces de rechange. “L'électronique high-end est un thème délicat, parce que vous intégrez en fait une technologie qui évolue à une tout autre vitesse que le reste du véhicule. La longévité technologique d'un GSM lambda par exemple équivaut à une bonne année, tandis que nous devons ajouter pour un véhicule dix à quinze ans aux six à sept ans de production", explique le directeur. Les révisions sont donc tout sauf banales, d'autant que le niveau d'intégration ne cesse de se multiplier. Néanmoins, il existe déjà sur le marché des spécialistes capables d'effectuer de telles révisions. Des exemples typiques sont les nombreux ECU que compte aujourd'hui une voiture: avec l'engine control, la gestion de la batterie, les systèmes de chauffage et tous les autres gadgets technologiques, vous arrivez vite à environ septante modules avec une plage de réglage et de commande individuelle. Chacun d'eux entre en ligne de compte pour une révision ultérieure.
L'avenir
“L'avenir électrique proche implique bien entendu aussi la révision des batteries d'entraînement. Parfois, seules quelques cellules dans les batteries seront concernées, si bien que l'ensemble est parfaitement révisable. Quant au moteur: nous avons déjà la technique de révision pour démarreurs et alternateurs, donc pas de problème quand les moteurs de véhicules électriques ou onduleurs devront aussi être révisés. J'entrevois vraiment un énorme potentiel dont la croissance s'amorce à peine. Il s'agira surtout d'écarter les obstacles éventuels à temps", avertit Schlehuber.
L'IDENTITE COMME ECUEIL
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Pour parvenir à une économie circulaire via la politique de révision, il faut la pièce ou 'core' pour commencer. Pour une révision efficace et réalisable, le coût de révision doit par exemple être proportionnel à la valeur intrinsèque de la pièce. Ceci contraint l'industrie à opter pour un certain nombre de pièces pour environnements 'low cost'. D'autre part, certaines révisions se produiront de préférence au cœur de l'Europe en raison du besoin d'ingénieurs formés.
Distinction entre core et déchet
“Le problème commence toutefois quand un produit à réviser est considéré en fait comme 'déchet'. La convention de Bâle interdit en effet largement à tort le transfert de déchets par-delà les frontières, ceci pour garantir un cycle de recyclage correct. Un exemple: les anciennes TV qui sont brûlées dans certains pays en développement, souvent africains, pour en récupérer le cuivre. La convention sert il est vrai un but noble, mais le principe agit comme un frein sur l'économie circulaire que l'on veut obtenir via notamment la révision.“ Il existe donc encore un important hiatus dans le système et c'est la distinction claire entre 'core' et déchet.
International
“Ceci est encore un long chemin, mais nous avons déjà fait la première étape. Avec cinq autres organisations internationales sœurs, nous fixons notamment quelques définitions de base par consensus“, déclare le directeur. “Jusqu'en septembre 2016, il n'y avait pas encore un accord à ce sujet. C'était la première fois que nous négocions cet accord en tant qu'industrie et posions ainsi la base de la distinction ultérieure entre nos cores et les vrais déchets. Cependant, cela deviendra encore un important défi international, parce que l'ouverture de certains pays est un facteur très important. De nombreux pays interdisent en ce moment de faire franchir la frontière, même à des pièces révisées, sans parler de les vendre", affirme encore Schlehuber.