Une combinaison de technologies EST LA SOLUTION
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Comment parvenir à une société neutre en carbone d'ici 2050 et quels seront les investissements nécessaires à cet effet? Cette question occupe de nombreuses personnes, notamment Pieter Vingerhoets. En tant qu'expert en stratégie énergétique et climatique chez VITO/EnergyVille, il travaille quotidiennement sur des modèles énergétiques pouvant ouvrir la voie à la neutralité climatique. Quel est le rôle joué par l'hydrogène dans ce contexte?
QUI EST PIETER VINGERHOETS ?
Pieter Vingerhoets a obtenu son master en 2006 et son doctorat en physique nucléaire en 2011. De 2009 à 2014, il a travaillé à la KU Leuven - EnergyVille en tant que chef de projet dans le domaine des technologies de réseau intelligent et des applications connexes. Aujourd'hui, il est expert en stratégie énergétique et climatique chez VITO/EnergyVille. Il analyse la conception et l'impact du cadre législatif européen et fournit un soutien politique. Il est expert en modélisation des systèmes énergétiques et des moyens technico-économiques pour atteindre la neutralité climatique d'ici 2050.
LE PROJET LINeAR
Après mon doctorat, j'ai changé de 'domaine'. J'adorais la recherche scientifique mais je voulais faire quelque chose de plus utile sur le plan social. C'est pourquoi j'ai commencé comme chercheur postdoctoral à la KU Leuven. J'y ai notamment participé au projet de recherche Linear. Ce projet étudiait la participation active de la demande: comment les ménages peuvent-ils adapter leur consommation d'électricité en fonction de l'énergie solaire et éolienne disponible? En fait, nous étions en avance sur notre temps avec cette question de recherche. Aujourd'hui, cette discussion est très actuelle. Nous avons obtenu des résultats intéressants à cet égard. Le principal étant que les gens ne voient aucun problème à reporter leur lessive, par exemple, à condition que cela n'entraîne pas une perte de confort. La plupart des gains ont été réalisés avec le chauffe-eau car les gens n'ont rien eu à faire eux-mêmes: c'est un algorithme qui choisissait quand celui-ci devait s'enclencher."
"Nous avons vu que le potentiel pour des appareils comme les machines à laver est assez limité - une vingtaine d'euros par an. Le chauffage de l'eau ou la recharge d'un véhicule électrique nécessite beaucoup plus d'énergie, à peu près autant que le reste de la consommation totale d'électricité. On peut donc donc économiser beaucoup sans perdre en confort.
Dans les discussions actuelles sur la répartition de la consommation, on parle souvent de l'impact sur le réseau électrique. Etonnamment, cet impact s'est avéré très limité dans le projet Linear. "Dans la majorité des cas, les câbles électriques étaient correctement dimensionnés et ont pu gérer ce pic sans problème."
NEUTRALITÉ CLIMATIQUE D'ICI 2050
Aujourd'hui, Vingerhoets étudie les modèles des systèmes énergétiques à VITO/EnergyVille: comment parvenir à une société neutre en carbone d'ici 2050 et quels investissements sont nécessaires pour y parvenir? "Nous étudions quels investissements sont nécessaires pour atteindre les objectifs climatiques. Cela va des données sur les investissements majeurs, comme des câbles à haute tension pour connecter l'énergie éolienne offshore à la terre ferme, jusqu'à diverses technologies jouant un rôle dans la réalisation de cette société neutre en carbone."
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Une combinaison de technologies
Il est certain qu'il n'existe pas une seule et unique solution pour une société neutre en carbone. Il faudra combiner différentes technologies. Vingerhoets voit un potentiel pour les réseaux de chaleur, par exemple, mais avec quelques réserves. "Nous avons récemment publié une carte thermique actualisée qui montre les endroits où l'on consomme beaucoup d'énergie et où il y a de la chaleur résiduelle. En combinaison avec certains paramètres abstraits, tels que le coût par mètre courant, nous arrivons à un potentiel d'environ trente pour cent. Mais on ne peut pas mettre ça en pratique comme ça. Il ne suffit pas de faire un seul calcul pour l'ensemble du territoire pour voir où les réseaux de chaleur pourraient être utiles. Il y a beaucoup de facteurs externes: par exemple, s'il y a déjà des travaux publics qui sont prévus et qui nécessitent d'ouvrir la chaussée, le coût de l'installation d'un réseau de chaleur diminue sensiblement. En revanche, les coûts augmentent s'il faut passer sous un cours d'eau ou une route très fréquentée. Ce sont toutes des choses que l'on ne peut pas calculer de manière centralisée."
"En outre, il y a un autre problème: l'offre de chaleur résiduelle. En Flandre, il y a beaucoup de chaleur résiduelle industrielle qui est soufflée dans l'air. Les entreprises ont intérêt à bien utiliser leur propre chaleur. En général, elles l'utilisent en interne au maximum mais il reste un excédent. La difficulté réside dans le raccordement de cet excédent à un réseau de chaleur. Prenons l'exemple d'Arcelor Mittal: il y a certes un apport de chaleur, mais celle-ci s'échappe par de nombreuses cheminées différentes. Il est impossible d'accrocher un échangeur de chaleur à chaque cheminée. Il est donc très difficile de calculer exactement la quantité de chaleur résiduelle disponible."
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Des réseaux de chaleur plus petits
Néanmoins, les réseaux de chaleur sont appelés à devenir de plus en plus populaires. "Surtout dans les régions à forte densité de population, comme les centres-villes. C'est ce que l'on étudie à Anvers, par exemple, où il y a un lien avec l'industrie portuaire. Il existe également des possibilités pour les petits réseaux de chaleur avec forage centralisé. Cela peut se faire avec la géothermie profonde, à condition d'avoir beaucoup de chaleur à une température relativement basse, et avec la géothermie superficielle, où une pompe à chaleur alimente un petit réseau de chaleur."
"Les réseaux de chaleur combinés à l'électrification fera déjà une grande partie de la solution. Mais ce sera un processus progressif. En raison de notre imbrication avec le gaz et la vaste infrastructure gazière, je ne pense pas que nous abandonnerons le gaz au cours des dix prochaines années."
"En raison de notre imbrication avec le gaz et la vaste infrastructure gazière, je ne pense pas que nous abandonnerons le gaz au cours des dix prochaines années"
Rapport de prix faussé
Le rapport de prix 'faussé' entre le gaz et l'électricité joue également un rôle important dans ce domaine. "Il existe actuellement un coût européen de 40 euros par tonne de CO2. Cette somme est incluse dans votre facture d'électricité, mais pas dans votre facture de gaz. Et pourtant, c'est le même CO2 qui est utilisé pour générer cette énergie. En effet, la production d'électricité à grande échelle est couverte par le système européen d'échange de quotas d'émission. Les certificats d'émission sont échangés au sein de l'Union européenne. Le prix de ces derniers a fortement augmenté au cours des derniers mois. Le problème est que les petits consommateurs, tels que le chauffage et les transports, n'entrent pas dans ce système, mais sont repris dans l'objectif national. Par conséquent, la question de savoir si nous atteindrons nos objectifs national avec des centrales nucléaires n'est pas non plus pertinente: en effet, les centrales nucléaires relèvent de ce système d'échange de quotas d'émission, mais pas les petits consommateurs."
"Il y a plusieurs solutions possibles, comme une taxe sur le CO2. Cela a déjà été introduit en Suède, par exemple. Ici aussi, plusieurs voix s'élèvent pour que l'on aille dans cette direction mais cela ne s'est pas encore concrétisé."
HYDROGÈNE
Quel rôle l'hydrogène peut-il jouer sur la voie vers 2050? Selon Vingerhoets, il n'y a pas de réponse noire ou blanche à cette question non plus. "L'hydrogène a fait l'objet d'un grand battage médiatique ces dernières années. Le problème est le suivant: la production d'hydrogène coûte de l'électricité. L'argument en faveur de l'hydrogène est que nous devrions le produire à partir de l'énergie renouvelable excédentaire. Mais d'après les études que nous avons faites, nous n'avons pratiquement pas d'excédent pour le moment. Ni en Belgique, ni dans les pays voisins. Et cela ne devrait pas changer dans les dix prochaines années.
"Supposons qu'il y ait soudain beaucoup d'excédents, ou que l'on puisse importer de l'hydrogène d'une manière très intéressante, on ne pourra quand même pas l'utiliser pour se chauffer. L'utilisation directe de l'énergie renouvelable, par exemple dans une pompe à chaleur, est quatre fois plus efficace que sa conversion en hydrogène, puis sa combustion pour chauffer votre maison. Même si vous produisez de l'électricité avec de l'hydrogène et que vous utilisez cette électricité pour une pompe à chaleur dont le COP est de 3, vous êtes deux fois plus efficace que si vous brûlez directement l'hydrogène."
"L'utilisation directe de l'énergie renouvelable est quatre fois plus efficace que la conversion de cette énergie en hydrogène"
Stockage de l'énergie
Le chauffage à l'hydrogène n'est donc pas une solution réaliste, selon Vingerhoets. En revanche, on peut envisager le stockage de l'énergie. "Il y a toujours des périodes dans l'année où il n'y a pas d'électricité renouvelable directe. Vous pouvez utiliser des batteries pour stocker cette énergie pendant une journée, ou pour stocker de l'eau chaude pendant quelques jours, mais c'est tout. Si, par exemple, il n'y a pas d'énergie éolienne ou solaire pendant deux semaines, vous pouvez utiliser de l'hydrogène, ou une autre molécule à base d'hydrogène, comme solution de secours. Mais nous ne l'utiliserons pas pour chauffer nos bâtiments. En effet, il existe des alternatives électriques bien plus efficaces."
"C'est dans l'industrie que nous aurons besoin de cet hydrogène. En tant que matière première pour certains produits, par exemple. L'industrie chimique utilise déjà beaucoup d'hydrogène actuellement. Il s'agit de volumes gigantesques. Ainsi, l'hydrogène que nous allons produire sera utilisé dans l'industrie bien plus tôt que dans nos bâtiments."
du positif
L'installateur jouera un rôle important dans l'électrification. "Le plus important sera d'évaluer correctement où le chauffage à basse température peut offrir une solution et où il faut d'autres solutions. Le dimensionnement va également devenir de plus en plus important, notamment pour les rénovations drastiques."
"Je pense que le défi général est d'en faire quelque chose de positif. Prenez par exemple la saga des panneaux solaires. Il y a des gens qui me disent qu'ils feraient mieux d'enlever les leurs. Mais quel que soit le délai de récupération, cela reste un excellent investissement. Il est important d'avoir une vision à long terme et de ne pas se focaliser sur les avantages financiers. C'est là que le gouvernement a un rôle à jouer, mais certainement aussi l'installateur, qui est proche du client final."