"Nos projets ne sont pas forcément pensés pour être instagrammables"

entretien avec les architectes Miel Dhondt et Christelle Nga Mbida 

Les architectes Miel Dhondt et Christelle Nga Mbida forment un duo d'architectes haut en couleurs. Ensemble, ils viennent de créer leur propre bureau avec beaucoup d'enthousiasme. Un enthousiasme communicatif, et que l'on retrouve jusque dans leurs créations. "Nos projets ne sont pas forcément pensés pour être instagrammables", une prise de position pour le moins contemporaine.

 

Parcours DHONDT - NGA MBIDA Architects
Miel Dhondt est diplômée d'un Master of Architecture (EAD) (KU-Leuven, campus Sint-Lucas Gent) et a travaillé chez Bressers Gent (architectes en restauration), Eddy François & Caroline de wolf architects (Deurle), Pascal François Architects (Aalst) ainsi que chez Sawada Hashimura (Tokyo, Japon).
Christelle Nga Mbida est diplômée du Master of Architecture (EAD) (KU-Leuven, campus Sint-Lucas Gent) et a travaillé chez Lowette & Partners (Bruxelles), De Smet-Vermeulen (Gand), 2B Architectes (Lausanne, Suisse), Sawada Hashimura (Tokyo, Japon) et actuellement chez Delmulle Delmulle Architecten (Petegem-aan-de-Schelde).

 

Architecture des objets

"Il y a beaucoup d'informations qui circulent sur l'architecture et tout ce qui en découle, et il faut toujours que d'une manière ou d'une autre, on en garde quelque chose", explique l'architecte Miel Dhondt pour commencer. "Mais parfois, je préfère délibérément de ne pas en tenir compte pour en arriver à mes propres idées, parce qu'une vision propre a certainement plus d'impact et de la clarté. Tout ce flot d'informations vous empêche d'y voir clair et peut même vous freiner d'une certaine façon. Nous sommes fascinés et inspirés par l'architecture japonaise et suisse, entre autres choses, mais certainement aussi par l'architecture de notre propre pays."

"Souvent, l'architecture est une affaire d'images et ça s'arrête là"

"Souvent, l'architecture est une affaire d'images et c'est là que ça s'arrête, ce sont des projets instagrammables. Photogénique et souvent comme une vaine image immaculée. Ce n'est pas notre truc, nous ne proposons pas de l'architecture d'objets tout faits. Dans nos conceptions, nous laissons délibérément la place à des espace dont la fonction n'est pas déterminée et que les habitants peuvent occuper selon leurs envies. Nous incitons les occupants à apprendre à interagir avec un bâtiment et à le découvrir par eux-mêmes. Notre architecture part de l'expérience, selon laquelle nous aménageons les espaces pour permettre aux occupants de vivre cette expérience. Et dans ce sens, une maison ne doit pas être complètement démolie, un mur existant peut être, par exemple, renforcé et conservé, et vous devez oser le dire à votre client."

 

la notion d'espace

Miel Dhondt : "À Audenarde, nous transformons une maison mitoyenne centenaire pour y installer notre bureau et en maison. C'était des vieilles constructions typiques, nous avons retiré beaucoup pour aller à l'essentiel. Nous avons tout ouvert pour profiter de la lumière et créer de l'espace." "Tout semble tellement plus grand", explique l'architecte Christelle Nga Mbida. "Le Corbusier a conçu une maison à Anvers - la Maison Guiette (1926) - avec un escalier qui traverse la maison tel un chemin, et qui crée une véritable notion d'espace." Miel Dhondt : "Les gens ressentent leur corps comme une maison, et la maison comme une seconde 'peau'. Des espaces sont également créés mentalement de sorte qu'une maison semble illusoirement plus grande qu'elle ne l'est en réalité. À cet égard, le travail du penseur français Gaston Bachelard me plaît particulièrement. Il considère l'imagination humaine comme un phénomène à part entière, son œuvre la plus connue dans laquelle cela se manifeste est La poétique de l'espace (1957), dans laquelle il se concentre sur l'imagination autour de l'espace et du cadre domestique. Le livre 'Le regard des sens' de Juhani Pallasmaa est aussi une référence pour moi, dans lequel la dictature de la vue est contestée et tous les sens aident à créer une expérience de l'espace."

"La frontière entre l'art et l'architecture est vraiment intéressante"

Vous êtes allés au Japon...

Miel Dhondt : "Nous apprécions énormément la culture japonaise, dans la mesure où nous l'avons comprise. Lorsque nous étions à l'école, nous avons découvert l'architecture japonaise et nous étions impatients de découvrir l'œuvre de personnalités telles que Tadao Ando et l'architecture diaphane de Junya Ishigami. Les architectes susmentionnés arrivent à créer un sentiment inégalé de simplicité et de tranquillité. La transition entre la nature et la maison est généralement sublime, tout comme la promenade mise en scène dans un jardin (zen) avec vue sur le paysage. En Belgique, nous essayons d'intégrer ces influences étrangères dans nos projets, mais la question s'est posée de savoir jusqu'où nous étions prêts à aller. Il est particulièrement important de voyager pour élargir votre horizon. Dans notre maison, la salle de bains est basée sur le principe d'un Onsen, un établissement de bains japonais : la baignoire sert de lieu de repos et la douche sert à cet effet de lieu de lavage. Le lavage est un rituel qui a lieu avant le bain. Détail supplémentaire : la transition de l'extérieur vers l'intérieur marquée par un passafe des matériaux bruts aux matériaux plus tendres (de la pierre au bois, de l'extérieur vers l'intérieur...)."

savant mélange flamand et africain

D'où vient cette envie de devenir architecte ? Miel Dhondt : "Très jeune, je voulais être cuisinier ou architecte. Malheureusement, je n'avais aucun talent culinaire, contrairement à Christelle. Mais avec l'architecture, l'expérience m'est venue assez spontanément. Quand on entre quelque part, on sent que l'espace et les expériences me touchent."

Vos deux noms traduisent une identité forte ...

Christelle Nga Mbida : "Nous avons choisis de garder nos noms complets parce que nous travaillons toujours selon notre identité propre, une touche personnelle est très importante. D'où ce savant mélange entre tradition flamande et africaine. "J'ai commencé à étudier l'architecture parce que je voulais prendre un chemin différent. Les gens pensaient que j'avais une fibre sociale et que j'étais faite pour travailler avec les gens, que je devais faire quelque chose dans ce sens. Ma mère m'a dit 'suis tes rêves et ne te retourne pas'. Contrairement à ce que me conseillait l'école, j'ai donc suivi mes rêves."

 

Enduit effet roche

Miel Dhondt : "Lorsqu'il s'agit de l'application des matériaux, nous nous posons beaucoup de questions. La Broekstraat à Audenarde, où nous allons bientôt vivre et travailler, est une combinaison d'expériences étrangères et d'aspects de construction flamands. Par exemple, nous avons appliqué un enduit effet roche, qui est typiquement flamand, bien qu'une variante de cette technique soit également utilisée en France. La structure d'une telle façade est rugueuse et dégoulinante. En Suisse, ils utilisent une technique qui consiste à 'gratter' la façade. Vous pouvez voir la main de l'entrepreneur dans la structure de la façade. Notre entrepreneur avait maîtrisé la technique flamande, mais pas la technique suisse. Christelle a découvert cette technique de grattage en Suisse et, sur la base de quelques références, elle en a discuté avec l'entrepreneur. Dans notre projet, nous combinons le grattage (application de mortier en mouvements de balayage) et l'effet de roche. Nous avons enrichi l'ancienne technique flamande avec la tradition suisse. Le motif qui en résulte rappelle l'art d'Eugène Leroyn, un artiste également peintre. La frontière entre l'art et l'architecture est vraiment intéressante, le mouvement figé dans le ciment évoque pour moi autant que le live painting."

"Les meilleurs projets naissent det modèles naissent d'une certaine opposition"

opposition

Miel Dhondt : "Pour mes parents, nous avons conçu une grande armoire de cuisine en chêne français. Elle est habillée d'une pierre naturelle que nous avons taillée en biseau en raison de son caractère unique - bien qu'il s'agisse d'une fine dalle - afin de la 'présenter' comme élément massif. Une telle pierre exige du respect, et le respect des matériaux est un principe important. Dans la cuisine, l'histoire est la clé, et joue sur une combinaison de chêne français, de carrelages marocains et de pierre naturelle espagnole. Mes parents ne voulaient pas d'une cuisine standard mais d'une qualité subtile. Christelle Nga Mbida : "Nous avons conçu les meubles ensemble. Miel a lancé l'avant-projet et je lui ai donné mon avis, nous sommes donc parvenus à un compromis solide. Je ne voulais pas dire oui à tout ; à mon avis, les meilleurs dessins et modèles naissent d'une certaine opposition."