Quel est le potentiel de l'aquathermie?

Les plans d'eau comme source de chaleur durable?

Et si nous utilisions l'énergie thermique des canaux, des lacs et des rivières pour chauffer et refroidir nos bâtiments? Cela peut sembler fou mais selon le bureau d'études EXTRAQT de Louvain, ça ne l'est pas du tout. Au contraire: les plans d'eau ont un grand potentiel en tant que source de chauffage durable.

UNE SOURCE DE CHALEUR SOUS-EXPOSÉE

"L'aquathermie est totalement sous-exposée", déclare Jan Denayer. Avec son camarade Sebastian Baes et le professeur Stijn De Jonge, il a fondé sa start-up en 2021, après le succès de sa thèse de master sur l'aquathermie à la KU Leuven.

"Dans cette thèse, nous avons cartographié le potentiel thermique de la rivière Dyle et il s'est avéré qu'il était d'environ 60 mégawatts. En théorie, cela permettrait à cette rivière de fournir de la chaleur à tous les foyers de la ville de Louvain. Ces résultats ont également attiré l'attention des médias, ce qui nous a confortés dans l'idée que ce sujet a une grande pertinence sur le plan social."

"En théorie, la Dyle pourrait fournir de la chaleur à tous les foyers de la ville de Louvain"

JUMEAUX NUMÉRIQUES

Depuis sa création, le trio s'est agrandi à sept personnes et actuellement, l'équipe examine pour de nombreuses régions, villes, communes et même pour des particuliers s'il est possible d'extraire de l'énergie thermique de leurs cours d'eau. Le potentiel de l'aquathermie est cartographié à l'aide de 'jumeaux numériques'.

"Ceux qui souhaitent ensuite réaliser une installation d'aquathermie peuvent également compter sur nous", explique Denayer. "Si le plan d'eau peut fournir la chaleur nécessaire, nous élaborons la conception technique complète et, en collaboration avec notre partenaire d'installation Eco-Technix, nous nous chargeons de la mise en œuvre."

Depuis sa création, le bureau d'études a déjà réalisé 45 études de faisabilité, modélisé 466 kilomètres de rivières et 25 km² de lacs. Aujourd'hui, trois installations sont déjà pleinement opérationnelles.

COMMENT CELA FONCTIONNE-T-IL?

L'aquathermie fonctionne sur un principe relativement simple et s'apparente à la géothermie et à la riothermie, mais elle utilise une source différente. La chaleur est extraite de l'eau à l'aide d'un échangeur de chaleur, puis valorisée par une pompe à chaleur pour amener le bâtiment à la bonne température.

La quantité exacte de chaleur pouvant être extraite d'un plan d'eau dépend de plusieurs facteurs, tels que la profondeur de l'eau, le débit (éventuel) et la surface totale.

DEUX TYPES D'INSTALLATION

SYSTÈME FERMÉ

L'aquathermie peut être appliquée de deux manières différentes. "Pour les eaux stagnantes, sous forme d'étangs ou de douves par exemple, nous travaillons avec un système fermé", explique Denayer. "Il s'agit d'un réseau fermé dans lequel circule un fluide caloporteur (mélange d'antigel et d'eau) qui extrait la chaleur ou le froid de l'eau au niveau de la surface.

"L'énergie thermique de l'eau de la rivière est transférée par les parois des tuyaux au fluide caloporteur qui circule dans les tuyaux d'un échangeur de chaleur. Ensuite, il y a un échange de chaleur entre le réseau du fluide caloporteur et le réseau de chauffage interne du bâtiment, assuré par une pompe à chaleur."

"Très concrètement, la plaque de l'échangeur de chaleur est placée et raccordée directement dans l'eau. L'ensemble de l'installation est immergé, donc invisible de l'extérieur. L'une de nos installations se trouve dans les douves d'un château - pour ce genre de bâtiments, cette 'invisibilité' constitue un grand atout."

SYSTÈME OUVERT

"Pour les projets plus importants en eau courante, nous utilisons un système ouvert. Dans ce cas, l'eau est aspirée et traverse un échangeur de chaleur sur terre, dans le local technique. On peut ainsi traiter de gros débits au moyen d'une structure très compacte dans l'eau, avec une pompe et un filtre."

"Lorsque le chauffage est nécessaire, la pompe à chaleur va extraire la chaleur du réseau dans lequel se déverse l'eau de la rivière et la transférer à un autre réseau qui peut distribuer la chaleur dans le bâtiment. Une fois la chaleur extraite,  l'eau refroidie est rejetée dans la rivière."

IMPACT SUR L'ÉCOLOGIE

Le fait que l'eau refroidie retourne dans la rivière ou l'étang a deux conséquences. Si l'on veut construire plusieurs installations dans une même rivière, il faut veiller à ce qu'une installation n'aspire pas l'eau froide d'une autre. Il existe donc un nombre maximum de points de dérivation sur un tronçon de rivière ou de cours d'eau."

"En outre, un changement de température peut également avoir un impact sur la vie dans l'eau. L'Agence Nature et Forêts a mené des recherches à ce sujet et a conclu qu'un refroidissement local de trois à quatre degrés est acceptable. Dans cette fourchette, il n'y a pas d'impact significatif sur l'écologie".

RÉGÉNÉRATION

Par ailleurs, il faut parler de la régénération. Cela signifie que la température d'une rivière revient à sa température d'origine après un certain temps. "Pour calculer cette régénération, nous travaillons avec des modèles mathématiques qui peuvent simuler l'impact de toutes sortes de facteurs sur la température de l'eau. Sur base des résultats de ces simulations, nous pouvons alors déterminer la quantité de chaleur qu'il est possible d'extraire sans que la température ne baisse de plus de 3°C."

REFROIDISSEMENT

De plus, selon Denayer, le fait que les plans d'eau soient légèrement refroidis est en fait une bonne chose. "En raison du changement climatique, la température globale de l'eau augmente. En extrayant sa chaleur pour le chauffage des bâtiments, nous controns quelque peu ce phénomène".

"C'est pourquoi le refroidissement par aquathermie est plus sensible sur le plan écologique, car il rejette de l'eau plus chaude dans la rivière. Cela peut stimuler la croissance de bactéries telles que les algues bleues. Une solution possible est de travailler avec une sorte de système hybride, combinant l'aquathermie et la géothermie. Grâce à un système de stockage de chaleur et de froid dans le sol, il est possible de stocker de la chaleur ou du froid pour une utilisation ultérieure, en fonction de la saison.

TEMPÉRATURES NÉGATIVES

Qu'en est-il des températures négatives? "Même si un étang est complètement gelé, il est possible d'en extraire de la chaleur. Lorsqu'il gèle, la couche de glace dans notre pays se limite généralement à une profondeur de quelques centimètres. En dessous, l'eau reste normalement liquide car il y a trop d'énergie dans la transition de phase. Grâce au réfrigérant qui circule dans le système, on peut continuer à extraire de la chaleur même lorsque la température de l'eau est négative."

"De plus, nous avons remarqué que la température de l'eau au niveau de la plaque de l'échangeur de chaleur change légèrement en raison de l'échange de chaleur. Lorsque l'eau change de température, elle change également de densité, ce qui entraîne un écoulement. Cet écoulement n'est pas perceptible à l'œil nu, mais il empêche la formation de glace sur la plaque, même lorsque toute la surface de l'eau est gelée à ce moment-là."

OÙ SE SITUE LE POTENTIEL DE L'AQUATHERMIE?

"Le plus grand potentiel de l'aquathermie en tant que source de chauffage se situe dans les villes", explique Denayer. "Nous cherchons tous des moyens de chauffer nos bâtiments de manière neutre en carbone d'ici 2050. Cela peut se faire avec des installations individuelles, mais dans les villes, les installations collectives sont beaucoup plus intéressantes."

"Ces installations peuvent être envisagées de différentes manières. Les réseaux de chaleur qui utilisent la chaleur résiduelle des usines, par exemple, sont une option, mais ces 'sources' se trouvent souvent à l'extérieur des centres-villes, de sorte qu'une grande partie de l'énergie thermique est perdue dans les longues canalisations. Il y a aussi la chaleur géothermique: il s'agit d'une très bonne source, mais créer des champs BEO dans une ville construite n'est pas non plus un choix évident."

"Historiquement, beaucoup de nos villes sont établies autour de rivières, qui serpentent à travers la ville comme un réseau de chaleur"

"Historiquement, beaucoup de nos villes sont établies autour de rivières, qui serpentent à travers la ville comme une sorte de réseau de chaleur. C'est cette constatation qui nous a donné envie d'explorer le potentiel de l'aquathermie".

Déterminer le potentiel théorique est une chose, mais l'aspect pratique en est une autre. "Pour le compte de certaines villes, nous poursuivons nos recherches. A Temse, par exemple, nous étudions comment l'Escaut peut être utilisé comme réseau de chaleur pour le centre-ville. C'est également le cas à Anvers Sud. Et à Bruges, nous menons une étude à grande échelle sur tous les canaux de la région".

"Les propriétaires privés et les pouvoirs publics s'intéressent donc de plus en plus à la question. Pour les premiers, nous pouvons installer un système fonctionnel en l'espace d'un mois, pour ainsi dire. Avec les villes, l'approche est logiquement différente: on part plutôt d'un plan directeur et on exploite ensuite les possibilités de démarrage et de raccordement."

COÛT 

La question clé lorsqu'il s'agit d'une nouvelle technologie est la suivante: quel est son coût ? "Un système aquathermique se situe entre un système air-eau et un système géothermique, à la fois en termes de coût d'investissement et de coût de fonctionnement. C'est également le cas en termes d'efficacité, d'ailleurs - la géothermie peut s'appuyer sur une température stable, de sorte que ce genre de système est encore un peu plus efficace." 

"Je parle de projets nécessitant une capacité relativement importante, comprise entre 50 kW et 300 kW. C'est là que nous trouvons un très bon équilibre entre l'investissement et le temps de retour sur investissement. Ce dernier se situe alors entre 8 et 14 ans, tandis que l'objectif est toujours que les systèmes restent en place pendant une vingtaine d'années."

"En outre, plus la capacité est grande, plus l'économie d'échelle est importante. En effet, il suffit d'ajouter des plaques d'échangeur de chaleur supplémentaires."

Pour ce qui est de la pompe à chaleur, qui constitue l'élément final du système, on peut utiliser n'importe quel modèle pour eaux souterraines. "Nous aimons travailler avec certaines marques parce que nous offrons un système de surveillance qui permet de tout suivre à distance, comme les températures et les informations de maintenance. Mais en fait, on peut utiliser n'importe quelle marque."

MAINTENANCE

La maintenance peut également être comparée à celle d'un système géothermique. "Notre système le plus ancien fonctionne depuis un an et demi et aucun problème n'est apparu jusqu'à présent. Comme le système est sous pression, une fuite peut théoriquement toujours se produire dans l'une des conduites, mais nous n'en avons jamais vu. Grâce à la surveillance, nous pouvons également détecter ce genre de fuite rapidement et efficacement. Le seul entretien effectué jusqu'à présent a consisté à passer une brosse de temps en temps le long ou entre les plaques pour éliminer le biofilm et maintenir un échange thermique optimal."

"Dans le cas d'un système ouvert, le filtre serait le point d'attention principal. En outre, il faut rechercher un bon équilibre entre le débit et la filtration."

"En outre, grâce à notre surveillance des systèmes fermés, nous essayons toujours d'améliorer l'efficacité des prochains systèmes. Cela nous permettra de mieux les dimensionner. Actuellement, nous utilisons un certain coefficient d'échange thermique à cette fin. Si nous constatons qu'il s'écarte des valeurs normales, par exemple en raison d'un flux imprévu, nous en tenons compte pour une éventuelle optimisation."