"La croissance des pompes à chaleur exerce une pression supplémentaire sur la capacité d'installation"
Christophe Leroy, président de l'ATTB, nous parle de la transition énergétique
L'ATTB, l'association belge des fournisseurs de matériel de chauffage, a un nouveau président: Christophe Leroy, chef de Viessmann Benelux. Selon lui, quelle direction devrions-nous prendre pour parvenir à une société neutre en carbone en 2050?
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DISCLAIMER
Dans cette interview, Christophe Leroy ne s'exprime pas uniquement au nom de l'ATTB ou de Viessmann. Il exprime également des opinions personnelles.
L'humain avant tout
Christophe Leroy est entré par hasard dans le secteur de l'installation il y a 27 ans et il ne l'a plus quitté depuis. "Bien que je n'aie pas de formation technique, j'ai été fasciné par ce secteur. Il n'y a pas que les chiffres ou les autres données, il y a aussi l'humain. En effet, pratiquement tout le monde a besoin d'eau chaude et doit chauffer ou rafraîchir sa maison."
"Ce confort, c'est ce que les installateurs apportent au domicile des gens. L'installateur joue donc un rôle central dans la transition énergétique: c'est lui qui détermine dans une large mesure les installations qui seront mises en place."
"Parallèlement, les gens s'intéressent de plus en plus à l'énergie, même si je pense qu'il y a encore une grande dualité. Des études antérieures ont déjà montré que plus de la moitié des gens considèrent l'énergie comme l'un des postes de dépense les plus importants, alors qu'ils ne savent même pas comment ils chauffent leur maison. Certes, la situation commence à changer lentement, surtout avec l'augmentation des prix de l'énergie, mais l'ignorance est encore très grande."
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Des informations différentes provenant de différents côtés
"L'une des principales raisons de cette situation est qu'il y a beaucoup d'informations différentes provenant de différents côtés. De plus, les médias et certains groupes, entre autres, ont souvent tendance à penser de manière dichotomique. Je pense par exemple aux partis qui disent qu'il faut tout électrifier. Alors que la réalité est beaucoup plus nuancée. A l'ATTB aussi, nous préconisons fortement d'examiner les choses au cas par cas."
"Nous savons qu'il faut réduire les émissions de CO₂ et que les énergies fossiles sont limitées. Nous n'avons plus besoin de nous disputer à ce sujet, ce sont des faits établis. Cela signifie que nous devons rendre les vecteurs énergétiques dont nous disposons plus durables. La manière d'y parvenir n'a pas d'importance, du moment qu'elle permet de réduire au maximum les émissions de CO₂ tout en réduisant les coûts sociaux."
"Dans les bâtiments aussi, l'objectif devrait toujours être d'avoir l'installation la plus efficace sur le plan énergétique permettant la plus grande réduction possible des émissions de CO₂. C'est dans cette optique que l'on choisit la bonne technologie. Aujourd'hui, c'est encore trop souvent le contraire qui se produit: on choisit une technologie particulière sans se demander au préalable si c'est elle qui permettra de réaliser les plus grandes économies dans cette situation spécifique."
"La technologie est trop souvent considérée comme une fin, alors qu'elle n'est qu'un moyen. Nous avons beaucoup plus à gagner en réduisant la demande d'énergie des bâtiments vieillissants par une isolation complète, plutôt qu'en installant aveuglément des pompes à chaleur partout."
"La technologie est trop souvent considérée comme une fin, alors qu'elle n'est qu'un moyen"
Conseiller les autorités
Le rôle le plus important dans la transition énergétique est peut-être celui des autorités. L'ATTB s'efforce donc de transférer au mieux les connaissances et les expériences de ses membres aux niveaux politiques, afin qu'ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause.
"En ce qui concerne les nouvelles constructions, je pense que nous avons déjà bien réussi à le faire", déclare Leroy. "En fait, la Belgique est actuellement l'un des leaders européens en matière d'efficacité énergétique dans la construction neuve."
"Le marché du remplacement est une toute autre histoire. Une grande partie des maisons qui existeront en 2050 sont déjà construites. Il est donc extrêmement important de les rendre plus durables, mais comme beaucoup d'informations différentes et contradictoires circulent, les gens ne savent pas quoi faire. Et encore une fois, on se retrouve dans des situations où l'on choisit les mauvaises technologies".
QUI EST CHRISTOPHE LEROY ?
Christophe Leroy a obtenu un master en économie et en marketing, respectivement à l'Université de Gand et à la Vlerick Business School.
Il a ensuite occupé diverses fonctions internationales au sein de l'Ariston Thermo Group, du Baxi Group, de BDR Thermea et de Remeha Belgium, entre autres.
Depuis avril 2021, il est CEO de Viessmann Benelux et, depuis mai 2023, également président de l'ATTB, l'association belge des technologies thermiques.
Avec le vice-président Yves Vanpoucke, il succède à Gerd Vrieling (Bosch) et Hans Van der Perre (Groupe Atlantic).
Responsabilité
"Aujourd'hui, nous avons tendance à faire porter l'entière responsabilité de la neutralité carbone à l'utilisateur final. En tant que particuliers, nous devons bien sûr veiller à ce que notre maison soit aussi bien isolée que possible, à ce que l'installation puisse fonctionner aussi efficacement que possible et ce que notre consommation reste à un niveau aussi bas que possible. Mais nous n'avons aucun impact sur l'intensité carbone de l'énergie qui entre dans notre maison".
"C'est le fournisseur d'énergie qui a un impact sur ce point. Je pense, mais c'est une opinion personnelle, que le gouvernement devrait inciter davantage ces fournisseurs d'énergie à devenir plus durables. Et encore une fois, cela peut se faire de différentes manières: avec de l'électricité renouvelable, mais aussi avec des gaz plus durables et de l'hydrogène final."
"Je comprends que le gouvernement mette l'accent sur l'électrification. Partout où nous le pouvons, nous devons électrifier. Mais cela ne doit pas devenir un mantra dont on ne peut jamais s'écarter".
"En effet, c'est aussi une idée fausse à laquelle il faut tordre le cou: remplacer une vieille chaudière inefficace par une chaudière moderne à condensation n'est peut-être pas encore l'idéal, mais c'est un très grand pas en avant. De plus, pour de nombreuses personnes, c'est beaucoup plus facile à réaliser que d'investir massivement dans une isolation poussée et une pompe à chaleur.
"Si nous nous engageons massivement dans cette voie au cours des 10 à 15 prochaines années, par exemple, nous aurons également évité beaucoup d'émissions de CO₂. De plus, rien n'est gravé dans le marbre car d'ici 15 ans, de nouvelles options seront sans doute disponibles."
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Date butoir
"Pour réaliser ce projet, je préconise depuis un certain temps de fixer une date butoir pour la possession d'une chaudière sans condensation ou d'un générateur de chaleur dont le rendement est inférieur à 86%."
"En tant que fabricant, nous ne sommes plus autorisés à commercialiser ce genre d'appareil depuis des années, mais de nombreuses personnes utilisent encore ce type de chaudière aujourd'hui. Si nous disons qu'à partir de 2030, il sera interdit d'en avoir à la maison, les gens peuvent s'y préparer. Par exemple, des mesures de soutien financier peuvent être mises en place pour ceux qui en ont besoin. Et dans les immeubles collectifs, l'association des copropriétaires peut élaborer un plan d'action, voire créer un fonds d'épargne."
"Beaucoup de bonnes mesures sont déjà prises aujourd'hui. Mais je pense que les gens oublient souvent de saisir les opportunités les plus évidentes"
"En l'absence de date contraignante, les gens ne passent pas à l'action. Beaucoup pensent que l'investissement n'en vaut pas la peine, car la politique change tout le temps de cap de toute façon. S'il y avait un plan d'action, cela créerait au moins de la clarté et un sentiment d'urgence pour rendre les chaufferies plus durables."
"Ne vous méprenez pas, beaucoup de bonnes mesures sont déjà prises aujourd'hui. Mais je pense que les gens oublient souvent de saisir les opportunités les plus évidentes".
Personnel technique
L'un des grands défis de la transition énergétique est le nombre de bras: le secteur de la construction est en manque de main-d'œuvre. "Il existe un certain nombre de goulets d'étranglement", explique Leroy. "Les formations actuelles dans notre secteur ne préparent pas suffisamment les jeunes à la profession. Souvent, on y enseigne encore principalement les chaudières à gaz et à mazout, alors que l'avenir n'est pas du tout là. Par conséquent, on prend du retard dès le départ".
"Une fois diplômé, il faut obtenir de nombreux certificats avant de pouvoir commencer à travailler. Pourquoi ne pas donner aux étudiants un certificat provisoire, par exemple, qu'ils pourraient utiliser pour travailler dans une entreprise d'installation afin d'obtenir leur attestation définitive?"
"En outre, les réglementations diffèrent d'une région à l'autre. C'est le cas dans de nombreuses domaines en Belgique, mais cela ne facilite pas les choses."
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"Le marché des pompes à chaleur va continuer à se développer et la pression sur les installateurs ne fera qu'augmenter"
La 'transition des pompes à chaleur'
"L'ensemble du secteur belge de l'installation réalise entre 210.000 et 240.000 installations par an. Dans le cas d'une chaudière à gaz ou à mazout, le temps d'installation moyen est d'environ un jour. Comme nous nous dirigeons de plus en plus vers la pompe à chaleur, que tous les installateurs ne connaissent pas encore parfaitement, ce temps d'installation passe à une moyenne de trois jours".
"Si nous avons installé 30.000 pompes à chaleur au lieu de chaudières l'année dernière, cela représente environ 60.000 jours de travail supplémentaires. Cela signifie qu'un grand nombre d'installateurs à temps plein ont été complètement 'épuisés' par la transition vers les pompes à chaleur."
"Et le marché des pompes à chaleur va continuer à croître, de sorte que la pression ne fera qu'augmenter. C'est donc l'un des plus grands défis à venir."
Impact de la législation
"Nous revenons ensuite aux autorités, qui peuvent avoir un impact important sur la situation grâce à la législation et aux subventions, et qui doivent donc y réfléchir attentivement. Si une subvention est soudainement supprimée, le marché s'effondre, et vice versa. Cela s'applique également au niveau européen: pour le plan Fit for 55 (l'objectif de l'UE de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030), quelque 30 millions de pompes à chaleur devraient être installées en quelques années."
"Mais la faisabilité de cet objectif n'a pratiquement pas été discutée avec les fabricants et les associations. Si l'on commence à activer davantage le marché à un moment où la production ne peut déjà pas suivre en raison de la pénurie de composants et du manque de capacité de production, cela conduira forcément à des augmentations de prix et à une pénurie."
"Chez Viessmann, nous livrons encore aujourd'hui des pompes à chaleur qui ont été commandées l'an dernier. Le marché finira par se redresser, mais cela montre qu'il faut beaucoup plus de coordination entre les autorités et les fabricants. Est-ce le bon moment pour cette prime ? Quelles sont les conditions-cadres? Quelle est la meilleure façon d'aborder la mise en œuvre? Ces questions doivent faire l'objet de discussions beaucoup plus approfondies."
Qui est l'installateur du futur?
"Je pense que tout installateur désireux de travailler pendant encore de nombreuses années est convaincu que l'avenir est aux technologies des énergies renouvelables. La prise de conscience a déjà énormément évolué".
"Bien plus qu'auparavant, en tant qu'installateur, vous devez être conscient de toutes les possibilités. Il est de plus en plus important de conseiller correctement les clients. Quand une pompe à chaleur est-elle la meilleure solution, et quand une chaudière à condensation est-elle l'option valable?
"Les modèles commerciaux disruptifs pourraient bien changer profondément notre secteur"
Le client veut un interlocuteur unique
Avec l'évolution des technologies du bâtiment, les mondes du chauffage, de la climatisation et de l'électricité fusionnent de plus en plus. Cela signifie que les installateurs doivent s'organiser différemment. "Si nous voulons optimiser les flux d'énergie dans un bâtiment, cela nécessite un grand nombre de compétences différentes. Pensez à l'installation de panneaux photovoltaïques, d'un système de gestion de l'énergie, d'une pompe à chaleur et éventuellement d'une batterie. En tant qu'installateur, vous pouvez difficilement faire tout ça tout seul. Alors qu'aujourd'hui, les clients veulent souvent un point de contact unique pour optimiser leur maison et rendre leur consommation d'énergie aussi faible que possible."
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Modèles d'entreprise
"Je vois au moins trois façons d'y parvenir. Premièrement, les entreprises de construction peuvent travailler ensemble. Cela se fait déjà beaucoup aujourd'hui, et je pense que cela sera encore plus nécessaire à l'avenir. Pensez par exemple aux petites entreprises d'installation qui collaborent régulièrement avec un ami électricien qui installe des panneaux photovoltaïques. Ils en profitent tous les deux et le client ne doit contacter qu'une seule partie".
"En outre, on voit de grandes entreprises d'installation se développer et racheter de plus petites entreprises. Elles disposent ainsi de différents départements et de toutes les connaissances en interne, ce qui leur permet d'offrir au client une solution globale."
"Le troisième modèle n'est pas encore très répandu en Belgique, mais il l'est à l'étranger. Il s'agit d'entreprises qui abandonnent complètement certains principes des entreprises d'installation classiques. Elles opèrent uniquement via Internet et génèrent ainsi des contacts clients très rapidement et très efficacement. Toute la phase d'offre est réalisée en ligne, jusqu'à la conclusion des contrats. En achetant une capacité d'installation physique, les travaux peuvent ensuite être exécutés efficacement".
"De tels modèles commerciaux disruptifs pourraient bien changer profondément notre secteur. Ce n'est pas forcément négatif, c'est simplement que nous devons constamment remettre en question nos principes établis."