Maintenance DU F-35
Entretien à Haut niveau
En 2013 et 2018, les gouvernements respectivement hollandais et belge – tous deux après des années de débats – ont décidé de remplacer le F-16 désuet par le F-35 de Lockheed Martin. Bien que la régie de l’entretien du F-35 soit gérée de façon centrale par l’avionneur lui-même, en concertation avec le gouvernement américain, les entreprises dans les pays partenaires acheteurs du F‑35 ont résolument la possibilité de postuler via des adjudications pour l’exécution de l’entretien. C’est ainsi qu’a été aménagé sur la base aérienne de Woensdrecht, aux Pays-Bas, un entrepôt pour toutes les pièces détachées de toute l’Europe.

Du F-16 au F-35
Les avions de chasse F-16 avec lesquels tant les Pays-Bas que la Belgique ont volé pendant des décennies (l’achat date de la période ‘75-’83) nécessitaient de plus en plus expressément un remplacement après des milliers d’heures de vol. Hormis le fait que la technologie soit entre-temps fortement dépassée, les coûts dépensés pour l’entretien ne cessaient de grimper.
Etant donné que l’avionneur Lockheed Martin a bel et bien accordé une grande attention explicite à la maintenance lors du développement du F-35 Lightning lI (et le fait que l’industrie locale en profiterait aussi), le choix des Pays-Bas et de la Belgique en faveur du F-35 n’était pas totalement illogique, quoique après pas mal de débats. Dans les deux pays, l’avion de chasse sera engagé pour défendre leur espace aérien – et l’un de l’autre – mais de surcroît également pour des missions internationales.
Alors que la force aérienne belge devra encore patienter jusqu’en 2025, le premier F-35 hollandais a bel et bien déjà atterri sur le sol hollandais, plus précisément sur la base aérienne de Leeuwarden.
L’entretien du F-35
L’entretien du F-35 est réglé de façon particulière. En effet, chaque acheteur d’un F-35 reçoit en plus la plate-forme de maintenance logistique ALIS (Autonomic Logistics Information System), le cœur du F-35 où sont réunis tous les modules et tous les éléments de l’avion.
Par l’application de techniques avancées, les éléments surveillent eux-mêmes la nécessité ou pas d’un entretien; ceci signifie que l’entretien est exécuté en fonction des conditions au lieu d’être basé sur le nombre d’heures de vol ou d’autres paramètres liés au temps. A cette fin, le F-35 dispose d’un vaste package d’avionique complété par différents capteurs.
L’entretien supérieur, comme la réparation d’éléments défectueux, est réparti par les Etats-Unis sur les différents pays partenaires dans le programme F-35. Le volume d’entretien attribué aux pays est en fonction de la capacité d’une industrie à fournir la meilleure offre au meilleur prix..
Le rôle de la Belgique dans l’entretien du F-35
Etant donné que la Belgique a tranché le nœud épineux de l’achat du F-35 relativement tard, le pays n’a pas pu apporté sa contribution à la phase de développement de l’avion. Mais il peut participer au programme de production restant encore à répartir.
C’est ainsi que deux entreprises belges, SABCA et Ilias Solutions, ont pu conclure un accord avec Lockheed Martin. Pour Ilias Solutions, l’accord de collaboration industrielle porte sur le logiciel logistique; pour la SABCA – qui était déjà responsable depuis des années de la livraison et de l’entretien des actionneurs pour le F-16 – l’accord implique que l’avionneur américain l’estime capable de livrer des éléments spécifiques pour le F-35. Ceci est un premier pas vers d’éventuels contrats pour l’entretien des actionneurs.
Le rôle des Pays-bas

Etant donné que les Pays-Bas ont été impliqués plus tôt dans le développement du F-35, le pays a pu s’inscrire à un stade plus précoce pour l’exécution de l’entretien.
Un élément important de cet engagement concerne le fait que les Pays-Bas se chargeront de l’entreposage des pièces de rechange des (provisoirement) 400 appareils en Europe; ceci a induit l’investissement dans le centre logistique sur la base aérienne de Woensdrecht (LCW) où est construit entre-temps un entrepôt hyper moderne et fortement automatisé.
Fokker entretiendra les trains d’atterrissage des F-35, Aeronamic le moteur de démarrage et un espace est du reste créé à Woensdrecht pour l’entretien des gros moteurs F135 par StandardAero.
Enfin, on a aménagé sur le terrain de la Koninklijke Luchtmacht à Hoogerheide (Woensdrecht) Aviolanda, une zone d’activité qui regroupe les entreprises possédant les connaissances, l’expérience et la capacité innovante sur le plan de la maintenance au sein de l’industrie aéronautique, à courte distance l’une de l’autre.
Entretien du moteur F135

Si nous nous concentrons sur l’entretien du moteur, nous arrivons au Pratt & Whitney F135. Un nouveau hall est actuellement aménagé à Woensdrecht pour l’impressionnant Power Module d’une longueur de 3,5 m et d’un diamètre de 1,5 mètre. Ici débuteront l’année prochaine les premières formations sous la supervision des collaborateurs de Pratt & Whitney, qui séjourneront durant trois ans aux Pays-Bas à cette fin. En septembre, le personnel et le matériel doivent être prêts à la production.
“L’entretien de ce moteur est particulier pour différentes raisons”, confie Arjan Cornet, ingénieur de projet F135 auprès de la Koninklijke Luchtmacht. “Premièrement, parce que le F135 est très avancé et nécessite donc un grand savoir-faite. Deuxièmement, le moteur est plus grand que tous les autres moteurs que nous avons entretenus précédemment, ce qui pose des questions pratiques en termes d’accessibilité de tous les éléments.
Last but not least, il s’agit d’un moteur ‘split case’; cela signifie que le logement est scindé en deux parties, avec un raccord dans le sens de la longueur. Lorsque vous retirez le moteur de façon horizontale de l’avion, vous préférez en principe le maintenir à l’horizontale mais cela ne réussit pas dans ce cas-ci. Lorsque vous détachez une des parties, des composants en dessous se détacheront. La seule manière est d’exécuter l’entretien tandis que le moteur est positionné au sens vertical.”
Trois possibilités
On connaît trois possibilités pour réaliser l’entretien d’un moteur vertical de cette dimension.
- Dans le sol de l’atelier de maintenance est fait un trou dans lequel est placé un élévateur à pantographe avec le moteur par-dessus. Dans la position inférieure de l’élévateur, l’entretien peut être effectué sur le haut du moteur et au fur et à mesure que l’élévateur pousse le moteur vers le haut, les travaux sont exécutés de plus en plus sur le dessous du moteur. Un inconvénient de ce concept est que le trou dans le sol est permanent, ce qui ne permet pas l’utilisation flexible du hall (et c’est précisément une des exigences de la Défense). De plus, il n’existe pas pour l’instant d’élévateur à pantographe standard permettant de réaliser la hauteur exigée.
- Une seconde possibilité consiste à placer l’élévateur à pantographe sur le sol et à construire une plate-forme autour du moteur pour accéder aussi aux parties les plus hautes. Cette solution est limitée par le fait que l’élévateur en question ne peut pas être certifié CE dans cette disposition.
- Une troisième manière est d’utiliser des élévateurs bel et bien certifiés CE. Ici il est nécessaire de travailler avec deux docks de deux hauteurs différentes. Cette méthode est aussi appliquée ailleurs.
Adjudication europeenne
En premier lieu, la Défense hollandaise était la plus convaincue par la seconde solution: un élévateur à pantographe sur le sol combiné avec une plate-forme, partant de l’idée que l’élévateur à pantographe requis pourrait obtenir un marquage CE via un développement. De cette manière, l’utilisation du hall pourrait rester flexible. Et donc le département d’achats a cherché initialement une telle solution.
“Comme l’investissement correspondant excède les valeurs seuils pour les adjudications, nous étions contraints, en tant qu’institution publique, d’attribuer ce projet par adjudication européenne”, précise le capitaine Carien Schonewille, acheteur du projet. “Une esquisse jointe devait illustrer la solution visée.”
Solution
L’importance de l’ergonomie
L’une des entreprises ayant participé à cette adjudication était NIJL Aircraft Docking. Relativement particulier était le fait que la solution de cette entreprise s’écartait fondamentalement du concept postulé, qui utilisait une plate-forme fixe et un élévateur à pantographe distinct (et donc un moteur mobile).
“Au sein de NIJL Aircraft Docking nous concevons des docks dont les plate-formes sont réglables en hauteur”, raconte le CEO Norbert Pieterse. “De cette manière, les collaborateurs peuvent toujours travailler en hauteur de la façon la plus ergonomique, peu importe leur taille ou l’endroit où doit se produire l’entretien.”
Construction du dock
La société à Zwolle a conçu un dock sur mesure pour le F-35 avec une plate-forme de 6 x 6 m. Au milieu de cette plate-forme est pratiquée une ouverture circulaire de la taille du diamètre le plus grand du moteur quand celui-ci est placé verticalement. D’un côté, la plate-forme peut être retirée entièrement à partir de cette ouverture jusqu’au flanc (comme une partie de table sur roulettes), ce qui permet de placer aisément le moteur au milieu dans la plate-forme. Cette partie mobile est ensuite replacée et le moteur est ‘enclavé’ dans la plate-forme. Lorsque la plate-forme se trouve près d’une partie du moteur dont le diamètre est (nettement) plus petit que le point le plus large, on glisse des plaques supplémentaires, de telle sorte que l’ouverture entre la plate-forme et le moteur est suffisamment petite pour travailler en sécurité. Le réglage de hauteur est d’environ 2,5 mètres. La charge maximale de la plate-forme atteint plus de 4000 kg, ce qui correspond à environ 6 individus et outils.
Réglable en hauteur
Le réglage de hauteur – uniquement si personne ne se trouve sur la plate-forme – s’effectue par des entraînements hydrauliques sur les quatre points angulaires de la plate-forme. Ce réglage peut être manuel mais dans la pratique, les hauteurs pour l’exécution de travaux spécifiques sont préprogrammées.
“Avec cette solution, pour laquelle le moteur est à l’arrêt et la plate-forme en mouvement, nous satisfaisons aux spécifications fonctionnelles posées par la Défense”, raconte Pieterse. “Car ceci est le but final: satisfaire à la fonctionnalité demandée. La façon d’y parvenir n’est pas pertinente. Le concept a séduit la Défense et après plusieurs discussions, nous avons finalement reçu la mission d’élaborer et de livrer les docks. Hormis la livraison de ces quatre plate-formes, la particularité était de se voir confier la mission de leur entretien pour les 20 prochaines années. Une étape intelligente de la Défense parce que nous pouvons optimaliser la conception de la plate-forme dans l’optique d’un entretien efficace aux coûts les plus bas possibles.”
collaboration

l’arrêt. Les collaborateurs travaillent toujours au moteur à une hauteur ergonomique (Source: NIJL Aircraft Docking)
Ces derniers mois, la Défense et NIJL Aircraft Docking ont collaboré de façon intensive pour finaliser le concept. La construction a également fait ressortir différents détails qui n’étaient pas prévus et doivent être résolus à court terme.
Le capitaine Schonewille: “De ce point de vue, c’est une toute nouvelle expérience pour notre nouveau sous-traitant qui n’avait pas encore livré à la Défense. Par rapport au monde civil, il existe vraiment des différences à ce propos (voir encadré). Chez nous, aucune concession n’est plus accordée dans le contrat en principe. Cela signifie que nous attendons de nos sous-traitants qu’ils calculent eux-mêmes que presque tous les cas de problèmes doivent être résolus dans la phase d’exécution. Lorsque nous avons mal fait quelque chose dans la description de nos besoins, ce qui nécessite des adaptations, les coûts sont naturellement à notre charge. Dans l’autre cas, le sous-traitant est contraint d’y apporter une solution. Travailler sur base d’un calcul a posteriori n’a pas vraiment sa place ici.”
Cornet conclut: “Une collaboration avec le monde des entreprises est très plaisante pour nous comme pour la Défense parce que vous êtes toujours confrontés à de nouvelles idées et solutions. A l’inverse, nous fournissons aussi des idées au sous-traitant. Je suis impatient de voir fonctionner les deux premières plate-formes afin que nous puissions entamer le démontage des premiers moteurs en guise de formation, première étape vers une employabilité complète pour toute l’Europe.”
Inscriptions aux adjudications
Aux Pays-Bas, le thème ‘MKB comme sous-traitant de la Défense’ reçoit beaucoup d’attention.
Le capitaine Carien Schonewille: “C’est une matière complexe mais grosso modo la Défense est confrontée à deux sortes d’achats. Tout ce qui a un caractère militaire explicite, par exemple un F-35, s’effectue exclusivement chez des parties que nous choisissons et mettons en concurrence. Pour des aspects généraux plus petits – par exemple le papier d’imprimante ou l’huile lubrifiante – nous pouvons aussi le déterminer nous-même. Pour les achats qui excèdent un certain montant et ne sont pas spécifiquement militaires, nous sommes contraints, comme toutes les autres entreprises publiques hollandaises, de recourir à des appels d’offres (européens). A cette fin, nous utilisons la plate-forme Negometrix qui est liée finalement à Tendernet. Le grand avantage de Negometrix est que ceci est entièrement digital et donc bien plus efficace. Toutes les entreprises peuvent créer un compte gratuit et regarder s’il existe des adjudications pouvant être intéressantes pour elles et s’y inscrire ensuite.”
Le capitaine Carien Schonewille:
"En cas d’imprécisions sur la mission, la Défense s’attend à ce que les entrepreneurs posent des questions et c’est précisément ce qui se fait parfois encore trop peu. Or les règles sont strictes. Une livraison incorrecte ou l’absence de pièces entraîne automatiquement un refus et ceci peut être ‘dommage’ pour les deux parties. "
Un bon conseil pour les entreprises qui le font: lire avec précision et livrer exactement ce qui est demandé. En cas d’imprécisions sur la mission, la Défense s’attend à ce que les entrepreneurs posent des questions et c’est précisément ce qui se fait parfois encore trop peu. Or les règles sont strictes. “Une livraison incorrecte ou l’absence de pièces entraîne automatiquement un refus et ceci peut être ‘dommage’ pour les deux parties. Dans ce cadre, l’inexpérimenté NIJL Aircaraft Docking, à l’égard de la Défense, a bien fait de s’adresser à un conseiller qui était au courant des règles en vigueur pour les adjudications de la Défense.”
Ouvert et transparent
Les parties inscrites sont avant tout évaluées sur le respect des exigences légales. Par exemple, elles ne peuvent jamais avoir eu maille à partir avec la justice. On examine aussi l’admissibilité de l’entreprise à une mission spécifique, la force aérienne examinant notamment la taille et la capacité disponible, et l’expérience sur le plan des avions. Enfin, on examine si la proposition couvre effectivement le besoin postulé.
Pour conserver l’ouverture et la transparence de tout le processus, toute la communication est numérique et les entreprises ne peuvent pas contacter directement les techniciens de la Défense, par exemple. Ces techniciens doivent être capables de pouvoir évaluer les propositions de façon entièrement indépendante sans être distraits par des noms d’entreprises ou de personnes. Les questions doivent aussi être posées de façon numérique et sont visibles pour tous les membres de la plate-forme. On évite ainsi que des entreprises spécifiques disposent éventuellement de plus d’informations que d’autres et pourraient occuper une meilleure position.
Start-ups innovantes: volontiers!
“Un problème surtout pour les entreprises MKB lors des adjudications est le fait que nous devons aussi évaluer par exemple la capacité de production et la stabilité”, conclut le capitaine Schonewille. “Les start-ups innovantes ne peuvent souvent pas livrer les quantités dont a finalement besoin une organisation telle que la Défense. Et souvent il n’y a aucune garantie qu’elles existeront encore dans dix ou vingt ans, ce qui est bel et bien indispensable dans le cadre de l’entretien ou des pièces détachées. En ce moment, on travaille d’arrache-pied sur les possibilités d’utilisation de la capacité innovante des start-ups hollandaises pour une organisation telle que la Défense. J’aimerais aussi encourager ces entreprises à créer un compte et à s‘inscrire à nos demandes.”