Le gouvernement fédéral s'auto-sabote avec sa politique en matière d'accises
Les chiffres de vente du tabac sont restés en baisse ces dernières années

Si l'on considère les différentes catégories de consommation de nicotine en Belgique, les cigarettes représentent 60,7% du marché total tandis que le tabac RYO et MYO détient une part de marché de 28,2%. Le reste est destiné à la catégorie de la vape, qui représente 10,7% (2% si on la convertit en valeur totale de la catégorie). Comment le marché FCT (c'est-à-dire RYO et MYO combinés) a-t-il évolué dans notre pays l'année dernière?
Évolution du marché
Le marché FCT a connu une baisse de -25,2% en 2022 par rapport à 2021, l'année précédente il y avait déjà une baisse de -2,6% par rapport à 2020 (chiffres basés sur le département des douanes et accises, SPF Finances). Les années précédentes ont également été négatives à chaque fois.
Une perte de -12,8% SELON LE commerce de gros
Cependant, les chiffres du SPF sont des volumes de consommation. Ceux-ci seront très élevés en décembre car, grâce à la forte augmentation des accises et à la suppression de la troisième mesure 'anti-forestalling' (plus de délai pour vendre ou détruire les tabacs manufacturés soumis à accises après un changement de taux, n.d.l.r.), de nombreux industriels ont massivement constitué des stocks depuis des mois et les ont mis à la consommation.
En d'autres termes, les stocks sont là, mais ils ne sont pas (encore) dans les magasins. Selon la fédération sectorielle Cimabel, qui suit les volumes envoyés par les fabricants aux grossistes, fin 2022, 3.558 tonnes de tabac ont été écoulées, soit une perte de -12,8% par rapport à fin 2021 (-10% l'année précédente). Cette tendance négative est appelée à se poursuivre. Il y a dix ans, la Belgique commercialisait facilement 10.000 tonnes!
Le MYO (Make Your Own) reste le groupe le plus important au sein du marché FCT pour la plupart des acteurs (65 à 70%, certains atteignant même 80% de part de marché). C'est toutefois ce groupe qui a connu la plus forte baisse en 2022 en raison de la diminution des ventes à la frontière française (voir ci-dessous). Quant au tabac RYO (Roll Your Own), les ventes sont restées stables chez certains acteurs, en légère baisse chez d'autres.


Le marché frontalier sous pression
Le marché frontalier représente presque la moitié des ventes de FCT dans notre pays, mais il est en déclin d'année en année. En conséquence, la part du marché intérieur augmente. Mais le pot total devient de toute façon plus petit.
Tant sur le marché intérieur qu'aux frontières, on constate une nouvelle baisse en 2022. La principale raison de cette baisse est l'augmentation considérable des droits d'accises (avec des augmentations de prix sur 3 ans d'environ 5 euros sur un paquet de 50 g de tabac à rouler pour certaines marques). Il existe notamment une grande différence de prix avec le Grand-Duché de Luxembourg. Une grande partie des marchés français (MYO) et anglais (RYO, en raison de la dévaluation de la livre suite au Brexit, les ventes de marques britanniques ont fortement diminué) se sont entièrement déplacés vers ce pays.
A cela s'ajoutent les Belges qui franchissent la frontière luxembourgeoise en raison des difficultés économiques. La seule région frontalière qui s'est bien portée en 2022 est celle des Pays-Bas. Bien que le FCT soit toujours moins cher en Belgique, la différence d'accise et donc de prix avec les Pays-Bas s'est réduite en 2021–2022.

s'est réduite au cours de la période 2021–2022
Circuit illégal
Le danger de cette évolution est – et cela est constamment souligné – que de plus en plus de personnes achètent leurs produits tabac à l'étranger, ce qui entraîne une perte de revenus pour l'Etat. A long terme, cette évolution ouvre aussi davantage la porte au circuit illégal.
Chaque semaine, une fabrique de tabac illégale est découverte quelque part dans notre pays. Non seulement les taxes et les revenus sont perdus, mais avec ces faux produits, il n'y a pas non plus de contrôle de la qualité et de la pureté. Aujourd'hui, vous pouvez acheter des cigarettes illégales dans n'importe quelle grande ville de Belgique sans aucun problème. Les acteurs du marché s'étonnent que le gouvernement reste aveugle à cette situation.
La politique gouvernementale en matière d'accises
Pas moins de fumeurs
Bien entendu, la politique du gouvernement fédéral en matière d'accises joue un rôle important pour toutes les catégories de tabac et la dynamique des volumes. Depuis 2020, l'accise minimale a augmenté de 70 € pour 1.000 unités (+36,5%) sur les cigarettes et de 68 €/kg (+64,6%) sur le tabac à rouler. Pour répercuter cette seule taxe, un paquet moyen de 20 cigarettes devra être 1,70 € plus cher en 2023 qu'en 2020 et un paquet de 50 g de tabac à rouler 4,10 € plus cher. Il s'agit d'augmentations importantes si l'on considère qu'en 2020, un paquet de cigarettes coûtait en moyenne 6,40 € et un paquet de tabac à rouler 9,18 €.


Bien que les fumeurs doivent payer beaucoup plus cher leur paquet, cela ne s'est pas traduit par une tendance à la baisse du tabagisme. Selon une enquête sur le tabagisme menée par la Fondation contre le cancer en 2022, 24% des adultes fumaient, soit une proportion à peu près stable par rapport aux 23% de la période 2018–2019 (avant covid). Ainsi, les baisses de volume sur le marché semblent être principalement dues à la baisse des ventes frontalières et au fait que davantage de Belges cherchent eux-mêmes des alternatives moins chères.
Pour les cigarettes, nous constatons donc une forte augmentation des paquets étrangers en 2022, notamment en provenance d'Europe de l'Est, et nous voyons également des signes d'une augmentation significative des contrefaçons. Pour atténuer quelque peu ces effets négatifs, il est donc crucial que le gouvernement s'abstienne de toute nouvelle augmentation drastique avant 2024, estiment les acteurs du marché.
Une source de revenus facile
Les stratégies en matière d'accises doivent être considérées comme un outil du gouvernement fédéral dans le cadre de la politique sanitaire et fiscale. Lors des discussions budgétaires de 2022 et plus tard dans son plan anti-tabac, le gouvernement a clairement exprimé son ambition d'égaliser les droits d'accises entre les FMC (Factory-Made Cigarettes) et les FCT, et ce uniquement au nom d'objectifs de santé publique. En décidant d'augmenter les droits d'accises sur les FCT par rapport aux FMC, le gouvernement souhaite que les fumeurs cessent de fumer en raison de l'augmentation du prix.
D'une part, il pense, comme beaucoup d'autres gouvernements, que l'augmentation des droits d'accises réduira le nombre de fumeurs car le prix global des produits augmentera et les découragera de fumer. Cette stratégie a prouvé que ce n'est pas le cas et est plus susceptible d'encourager les fumeurs à acheter des cigarettes illégales, ou à se rendre dans un pays voisin moins cher.
D'autre part, c'est un moyen pour le gouvernement d'augmenter ses recettes fiscales. C'est la principale raison pour laquelle le gouvernement belge a augmenté les accises sur les cigarettes ces dernières années. Après deux années de pandémie et la hausse de l'inflation, le gouvernement avait besoin de recettes, et les accises constituent une source facile! Le tabac doit faire en sorte que le compte soit bon, également pour le 'mini-taxshift' en 2022 et maintenant encore pour le 'shift santé'!
Les revenus les plus faibles sont plus durement touchés
Le gouvernement belge veut augmenter plus fortement les accises sur le segment FCT car ce dernier est moins taxé, et donc moins cher, mais tout aussi nocif pour les consommateurs que les cigarettes. Cependant, une augmentation des accises n'a souvent pas l'effet escompté par le gouvernement.
En outre, le FCT est plus sensible aux accises car, contrairement au FMC, il ne s'agit pas d'un produit fini et les consommateurs sont donc plus critiques vis-à-vis du prix. En outre, une augmentation des droits d'accise sur le FCT a également l'effet pervers de frapper plus durement les personnes ayant le plus petit budget, car le FCT est plus populaire parmi les personnes à faible revenu.
En outre, la Commission s'orienterait également vers une taxe d'accise sur les produits de vapotage à partir de 2024.
Impact
Quelles pourraient être les conséquences à long terme de ces politiques en matière d'accises? Il est certain que la position concurrentielle de la Belgique vis-à-vis des pays voisins, et plus particulièrement du Luxembourg, s'affaiblira encore davantage. De plus, nous risquons une augmentation encore plus forte du commerce illégal dans notre pays (usines illégales, travailleurs illégaux ...) qui alimente les organisations criminelles et, à plus long terme, peut-être même une perte de revenus pour le gouvernement (en accises).
Il est donc important que le gouvernement, après 3 années de fortes augmentations, opte pour une politique en matière d'accises plus modérée en 2024. Cela permettra également au marché de respirer pour faire face à une inflation élevée et à la taxe supplémentaire sur le secteur à partir de 2023 dans le cadre de la directive européenne sur les plastiques à usage unique.
En outre, la taxe prévue sur le vapotage en 2024 devrait tenir compte du fait que les e-cigarettes et les produits du tabac chauffés sont nettement moins nocifs que les cigarettes. Les accises sur ces produits devraient donc, comme le recommande également le Conseil supérieur de la santé de Belgique, être limitées et nettement inférieures à celles sur les cigarettes et le tabac à rouler.
Est-ce que le gouvernement belge s'auto-sabote avec cette politique d'accises illogique? Il semblerait que oui, car plus les consommateurs migrent vers le Luxembourg, moins les recettes de TVA et d'accises seront importantes pour le gouvernement, et plus le chômage sera élevé (par exemple, fermeture des magasins frontaliers ou licenciement du personnel, baisse des revenus des entreprises auxiliaires telles que les établissements horeca).

sont nettement moins nocifs que les cigarettes, estiment les acteurs du marché
Que nous réserve l'avenir?
L'évolution de la situation dépendra aussi en grande partie de la proposition de la Commission européenne concernant la nouvelle directive en matière d'accises (Tobacco Excise Directive), qui est actuellement en cours de révision. Cette directive définira toutes les lignes directrices que les Etats membres devront suivre concernant leur stratégie en matière d'accises pour les cigarettes, les RYO, les MYO, mais aussi pour les nouveaux produits tels que le tabac chauffé, les produits de vapotage, les sachets de nicotine, etc. La plupart des modifications fiscales porteront sur ces nouvelles catégories.
Avec la collaboration de Philip Morris International, Twist Tobacco, Japan Tobacco International, Stubbe Tobacco Trading et Imperial Brands